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ACR 2020 : Usage de la warfarine et risque de prothèses de hanche et de genou

Nous avons le plaisir d’accueillir la Pr Tuhina Neogi de Boston, le Boston venteux comme vous pouvez voir dans le fond comparé au froid Paris, pour cette interview.

Tuhina, j’ai été intrigué par le titre de cette communication orale de la session plénière que tes jeunes collaborateurs et toi avez présentée samedi : « Usage de la warfarine et risque de prothèses de hanche et de genou », c’est une vraie problématique. Peux-tu expliquer ton étude à nos auditeurs et lecteurs.

Bien sûr. Merci beaucoup de m’avoir contactée et de ton intérêt pour ce travail, c’est en fait une grande passion pour moi car mon premier projet de recherche en tant que Research fellow était sur l’arthrose et le rôle de la vitamine K.
La warfarine est un antagoniste de la vitamine K. J’étais intéressée par le fait que dans les modèles murins, la warfarine est responsable de la minéralisation des tissus mous, dont le cartilage. C’était donc mon premier projet financé de comprendre le rôle de la vitamine K dans l’arthrose. Nous avons découvert que des niveaux bas de vitamine K étaient associés à l’augmentation de la prévalence de l’arthrose.
Ensuite, nous avons ensuite procédé à des analyses post-hoc d’un essai randomisé sur la vitamine K dans lequel nous avons obtenu des radiographies des mains et trouvé que ceux qui avaient eu des doses faibles de vitamine K au début de l’essai avaient une progression plus lente de l’arthrose digitale dans le bras randomisé vitamine K versus placebo. L’ensemble de l’essai était négatif mais dans ce sous-groupe qui avait une carence en vitamine K, il y a eu des bénéfices. Nous avons aussi regardé la matrix GLA protéine qui est une protéine-dépendante de la vitamine K qui se trouve dans les articulations, les os et les cartilages, et avons trouvé des associations avec des matrices de la g-carboxylase inadaptées. Et en juin dernier il y a eu un large GWAS qui a été publié sur l’arthrose digitale et a trouvé des matrix GLA protéines ou MGP dans des études fonctionnelles. En raison de ce large sujet qui m’a intéressée et qui a été fourni durant ces dernières décennies, le possible effet de la warfarine dans l’arthrose semblait être la suite logique.
Nous savons que la warfarine est un antagoniste de la vitamine K et si la vitamine K est antagonisée, alors les protéines dépendantes sont sous-gamma-carboxylées qui est leur fonctionnalité. Grâce aux protéines de la coagulation sanguine, nous en savons beaucoup sur les protéines-dépendantes de la vitamine K. Mais comme je l’ai mentionné quelques-unes de ces protéines se trouvent dans les articulations, les os et le cartilage. C’est donc la base de ce travail.
Nous avons repris l’étude d’une large base de données électroniques de médecins généralistes du Royaume-Uni nommée The Health Improvment Network. Cette base de données nous a fourni des informations sur le diagnostic, les traitements, les visites médicales etc. Nous savons que c’est compliqué de repérer un diagnostic d’arthrose dans des bases de données car il peut ne pas être reconnu. Mais nous avons pensé que les remplacements d’articulations de hanches et de genoux étaient une bonne piste pour repérer les arthroses en cours. Particulièrement pour les NACO où 97 à 98 % des remplacements de genoux sont pour l’arthrose. Nous avons identifié les personnes ayant eu une prothèse de genou ou de hanche, et avons mené une étude cas témoin pour évaluer la relation entre l’usage de la warfarine et le risque d’avoir un remplacement prothétique de genou ou de hanche parmi les personnes souffrant d’arthrose. Nous les avons comparées au groupe traité par NACO (DOAC pour Novel Oral Anticoagulants, en anglais). Nous avons choisi ça comme élément de comparaison à la warfarine pour éviter les bio-interférences. Les NACOs n’ont pas d’effet sur l’activité de la vitamine K donc c’est un bon comparateur pour étudier les effets de la warfarine dans le potentiel impact dans les cas d’arthrose avérés.

Quels résultats avez-vous obtenu ? Y-avait-il une relation ? Une corrélation forte ?

Nous avons fait attention à inclure des personnes qui avaient eu un diagnostic d’arthrose et un remplacement articulaire, mais nous avons exclu les personnes qui ne pouvaient pas avoir d’intervention à cause de cancers ou de sérieuses co-morbidités qui pouvaient être des contre-indications à la chirurgie, pour être sûr des problématiques de galénique.
Nous avons collecté les échantillons de l’étude et fait une analyse comparée de l’utilisation de warfarine ou de DOAC. Il y avait une augmentation du risque de 57 % de remplacements de hanche ou de genou chez les utilisateurs de warfarine comparé aux utilisateurs de DOAC.. Ces données ont été ajustées sur des facteurs confondants
Nous avons aussi réduit l’analyse aux prothèses de genou car les remplacements de hanches peuvent concerner des coxarthroses ou des fractures de hanche. Donc quand nous avons réduit, car 97-98 % des prothèses de genoux sont faites pour arthrose, nous avons trouvé des résultats similaires de 57 % dans les utilisateurs de warfarine vs DOAC. Finalement, J’ai oublié de préciser que nous avons aussi réduit notre choix aux personnes ayant fait des arythmies par fibrillation car elles recevaient toutes des anti-coagulants. En raison de ce choix et parce que les recommandations dans les prothèses articulaires sont fondées sur la pratique, nous avons aussi fait une analyse ajustée à la pratique, et l’effet était plus élevée de 25 % pour les utilisateurs de warfarine vs DOAC. Il y avait donc au total entre 25 à60 % de risques accrus de prothèses de genou.
Il y a donc bien des effets, significatifs ou non, dépendant de la façon dont nous avons ajusté.

Avec-vous remarqué une augmentation du risque en fonction de la durée d’exposition aux anti-vitamine K ?

Nous n’étions pas sûrs de la durée sous warfarine qu’il fallait pour observer de potentiels effets biologiques, sur le temps que les protéines-dépendant de la vitamine K doivent être inactivées pour voir les risques de ces maladies qui progressent lentement.
Nous avons testé différentes durées d’exposition warfarine vs DOAC. Nous avons remarqué que plus la durée de prise de warfarine était élevée plus le risque de PTG s’accroissait. Si la warfarine était utilisée pendant moins d’1 an il n’y avait pas de corrélation significative, mais à 1 an, le risque était 1,5 fois supérieur et pour 2 et 3 ans ou plus c’était associé à des risques jusqu’à 2 fois plus élevé, suggérant que l’utilisation sur le long terme était associée avec des risques biologiques dans le remplacement d’articulations.

Y-a-t-il un risque maximal ?

C’est important comme question, mais nous n’avons pas un suivi assez long pour savoir. Au Royaume-Uni, les DOACs ne sont arrivés sur le marché qu’en 2018. Nous allons continuer encore quelques années pour avoir de meilleurs résultats sur les DOAC et faire des comparaisons. Encore 4-5 ans pour répondre car le DOAC est de plus en plus utilisé et nous pourrons faire le suivi.

Quelles conclusions pratiques ? Devrait-on utiliser le DOAC chez les patients ayant de l’arthrose et de l’arythmie par fibrillation ?

Nous savons bien que c’est seulement une étude observationnelle et non un essai randomisé. Nous n’allons pas le faire pour répondre à cette question.
Ce que je peux dire c’est qu’il y a une approche rationnelle et sûre, dans les cas de fibrillation atriale il n’y a pas de raison de choisir l’un ou l’autre, mais chez les personnes ayant de l’arthrose progressive difficile à gérer, il est raisonnable de choisir le DOAC sans contre-indication ou autres raisons chez un patient donné. C’est trop tôt pour un large changement de nos pratiques, mais nous allons regarder si les essais sur DOAC vs warfarine pour voir si d’autres effets indésirables pourraient nous indiquer une différence dans l’usage des DOAC plutôt que de la warfarine, et nous faire modifier les recommandations. En tout cas, au moins à partir de données d’essais randomisés.

Merci beaucoup Tuhina pour cette explication, c’est une réelle découverte. J’attends de vous revoir bientôt.

Oui, j’espère que 2021 sera mieux que 2020.

 

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