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La rhizarthrose du pouce à l’EBMoulinette, ne faut pas sous-estimer l’importance de la gêne

Fascinante articulation

L’articulation du pouce a fasciné tous ses observateurs depuis la nuit des temps avec cette opposition du pouce qui a permis à l’homme une agilité manuelle exceptionnelle. Même les grands singes n’ont pas cette possibilité de mettre la pulpe du pouce en regard des autres doigts pour permettre une préhension à la fois fine et forte. Elle est innée, et même visible chez le fœtus in utero grâce à l’échographie. Le muscle opposant, que l’on teste systématiquement dans le syndrome du canal carpien, est ainsi une spécificité que l’homme a développée dans son agilité manuelle, depuis Lucy jusqu’à nos jours, sans être encore détrônée par les robots. L’articulation clé de ce pouce en opposition est la trapézo-métacarpienne, une articulation très originale.

Précisions sur le terme

La rhizarthrose, qui est une expression française créée par un de nos fondateurs de la rhumatologie française, Jacques Forestier, comporte l’ambiguïté de la notion de base du pouce, sachant que l’articulation métacarpo-phalangienne du pouce peut elle-même être le siège d’arthrose, bien qu’infiniment plus rare. Ainsi, on peut retenir le terme plus précis d’arthrose trapézo-métacarpienne (ATMC), ou traduire de l’anglais « carpo-metacarpal osteoarthritis of the thumb », qui pointe les manifestations possiblement inflammatoires de l’arthrose et les réactions osseuses avoisinantes. 

En chiffres

La prévalence radiographique de l’ATMC est d’environ 25 %, avec une augmentation exponentielle après 50 ans : les chiffres de prévalence de 5,8 % chez l’homme et 7,3 % chez la femme passent respectivement à 33,1 % et 35 % à 80 ans dans une méta-analyse récente (1). 

Mais la prévalence clinique, qui est bien sûr la plus pertinente, est bien moindre, respectivement de 1,8 % et 5 % chez l’homme et la femme après 70 ans. On remarque la plus forte proportion de femmes douloureuses alors qu’il n’y a que peu de différence quant à la prévalence radiographique. En tout cas, comme pour l’arthrose en général, il n’y a pas de corrélation très significative entre les douleurs ressenties et la sévérité de l’atteinte radiographique.

Éthiopathogénie

L’étiopathogénie de cette arthrose a été étudiée biomécaniquement. L’articulation est instable, voire sub-luxable, les ligaments au repos, du fait de sa configuration trapézoïde (2). En revanche, lors de la mise en action, de solides haubans musculaires de l’éminence thénar, très puissants, lui permettent une excellente stabilité et le développement de forces considérables. Le mécanisme de l’arthrose qui peut s’y développer serait lié à un conflit entre le bec palmaire de la base du premier métacarpe et un renfoncement du trapèze qui le réceptionne. Le stabilisateur de la TMC est essentiellement dorsal, avec le puissant ligament qui la soutient. D’ailleurs, les antécédents traumatiques avec entorse de ce ligament ou les luxations radiales génèrent une ATMC secondaire. Les autres facteurs de risque sont les hyperlaxités type Ehlers-Danlos, les travaux de force impliquant le pouce, les arthroses secondaires à une atteinte post-inflammatoire, le surpoids, l’ethnie caucasienne, l’âge et le sexe féminin, avec notamment plus d’arthrose érosive féminine (3).

Clinique facile

Il n’y a guère à s’appesantir sur une clinique qui est facile, devant des douleurs de la trapézométacarpienne bien focalisées au niveau de l’articulation trapézométacarpienne, plutôt dorsales, réveillées par les mouvements du pouce de pince ou de préhension, et à la palpation de l’interligne articulaire. Cette douleur occasionne une perte de force en adduction ou de la pince du pouce. La douleur est également réveillée par la pression axiale avec rotation du pouce (grind test, sensibilité/spécificité environ 70 %). Le test associant une mise en pression et un cisaillement antéro-postérieur de l’articulation trapézométacarpienne au repos semble de meilleure facture (4). Une déformation avec subluxation latérale et/ou ostéophytose peut être visible d’emblée. Le test de Glickel objective alors l’instabilité, en essayant de la réduire avec un appui sur la base du premier métacarpien. Un épanchement est difficile à apprécier. Plusieurs index fonctionnels peuvent mesurer la gêne fonctionnelle, soit spécifique à la rhizarthrose comme le score de Kapandji qui évalue la mobilité du pouce en opposition, soit le plus utilisé, le DASH, qui évalue la fonction de l’ensemble du membre supérieur.

Imagerie (Fig. 1-6)

La radiographie reste l’examen complémentaire de base, sans être systématique lorsque le bilan clinique est évident. On peut se contenter d’un simple cliché de face de l’ensemble de la main et du poignet, qui permettra de bien apprécier les autres localisations, mais qui ne déroule pas la trapézo-métacarpienne. Il faudrait des incidences oblique et latérale pour bien montrer l’interligne articulaire, avec l’articulation trapézo-métacarpienne sous-jacente, ce qui n’est demandé qu’en cas de doute diagnostique ou avant un avis chirurgical (5). Les signes cliniques classiques de l’arthrose sont bien entendu retrouvés, mais on peut insister sur la prédominance des lésions en interne. On peut avoir des radiographies subnormales avec une arthrose très douloureuse, et à l’inverse une radiographie très destructrice sans aucune douleur, voire sans antécédent de douleur. Ceci est illustré par la fréquence des hyperfixations scintigraphiques à ce niveau, alors qu’il n’y a aucune douleur rapportée, et le différentiel important entre la prévalence clinique (5 %) et radiographique (30 %). Une classification a été rapportée (Eaton et Littler) mais n’a pas d’autre utilité que pour des études cliniques. Seuls les indices algo-fonctionnels seront utiles à la décision thérapeutique.

Figure 1 – Rhizarthrose typique associant la chondrolyse, la condensation, et l’ostéophytose habituelles avec une excroissance latérale encore cartilagineuse et peu calcifiée, avec de nombreuses géodes sous-chondrales des calcifications chondrocalcinosiques du ligament triangulaire du carpe, et également des ostéochondromes intra-articulaires (A).
B. Chez la même patiente, radiographie après trapézectomie, avec des calcifications résiduelles intra-articulaires, susceptibles de pérenniser une réaction inflammatoire locale.

 

Le scanner ou l’IRM ne sont qu’exceptionnellement utiles. Un diagnostic plus précoce de l’atteinte cartilagineuse est possible, et les lésions ligamentaires peuvent être visibles en IRM (6). En revanche, l’échographie peut mettre en évidence facilement un épanchement, un kyste, une inflammation locale avec le Doppler, et guider un geste infiltratif.

 

Comme pour toute arthrose, il n’y a pas de corrélation étroite entre l’importance des signes radiologiques et la sévérité du retentissement douloureux ou fonctionnel (7). Le retentissement peut être important avec presque pas de signes radiographiques, et minime voire absent devant une rhizarthrose ancienne et non évolutive.

Figure 2 -Rhizarthrose dans le cadre d’une chondrocalcinose avec condensation des berges scapho-trapéziennes (« surlignées ») et la confirmation des calcifications visibles au niveau du ligament triangulaire.

 

Figure 3 – Autre aspect évocateur de chondrocalcinose bien visible sur ce scanner : encoche érosive du trapèze, avec géodes multiples.

Diagnostic différentiel 

Figure 4 – Rhizarthrose débutante mais avec de volumineuses géodes du trapèze bien visibles en IRM.

Le diagnostic différentiel est a priori facile, il suffit de passer en revue une courte liste. Un accident, direct ou indirect sur le premier rayon, pourra avoir pour conséquence des lésions traumatiques parfois difficiles à visualiser sur un cliché simple. Ce peut être une fracture du carpe non déplacée, une instabilité du carpe comme une entorse du ligament collatéral radial du carpe ou du ligament scapho-lunaire. Les tendinopathies de la région sont également à explorer : extenseur ou fléchisseur radial du carpe (voire rupture), tendinite de De Quervain avec la caractéristique manœuvre de Finkelstein à rechercher, une styloïdite radiale, un pouce à ressaut sans encore de blocage.

 

Prise en charge 

Traitements

Le traitement médical reste limité. Bien sûr, antalgiques et anti-inflammatoires sont des premières lignes, avec des études randomisées positives sur la douleur pour l’association tramadol-paracétamol, et sur la douleur et la fonction pour les AINS, mais à utiliser avec précaution chez des personnes souvent âgées (8). Les anti-inflammatoires locaux sont aussi à privilégier à court terme et de par leur bonne tolérance (rares effets secondaires locaux), mais il n’y a pas de preuve de leur efficacité supérieure au placebo au-delà de 2 semaines (8). La capsaïcine a fait l’objet d’études contrôlées très anciennes dans l’arthrose des mains, mais avec des méthodologies imparfaites et sans AMM en France dans cette indication (8).

Figure 5 – Rhizarthrose à proximité d’une zone de lyse du premier métacarpien en rapport avec un chondrome.

Appareillage 

Le port d’attelles a fait l’objet de plusieurs méta-analyses (9-11). Les essais sont positifs mais impossibles en vrai double aveugle, et de qualité toujours discutable. Leur efficacité est douteuse à court terme et modeste à moyen long terme (3 à 12 mois) (9, 11). Les orthèses rigides semblent préférables, longues (carpométacarpophalangiennes) pour la douleur et courtes pour la fonction (10). Le port d’attelle a été randomisé après chirurgie, sans bénéfice retrouvé. La physiothérapie est tout aussi difficile à évaluer rigoureusement, et on peut noter qu’une méta-analyse des cinq études randomisées présentant le moins de biais est positive sur la douleur et la fonction (12).

Traitements locaux

Les traitements locaux intra-articulaires ont pu évaluer la prolothérapie (dextrose), les corticoïdes, l’acide hyaluronique et le PRP. Une méta-analyse conclut à une possible supériorité des corticoïdes par rapport à l’acide hyaluronique, mais seulement sur la douleur à moyen terme à 3-6 mois (13). Toutes les autres comparaisons sont négatives, par rapport au placebo ou les autres comparaisons entre elles. Des études plus récentes sont à mentionner. Une première a comparé le PRP, l’acide hyaluronique et un corticoïde retard (14). L’acide hyaluronique a montré une supériorité à 3 mois, ce qui est contradictoire avec la méta-analyse de Riley en 2019. Une seconde retrouve une supériorité mais non significative des corticoïdes à 3 mois, et une supériorité significative du PRP à 12 mois, là encore en contradiction avec les méta-analyses préalables (15). Comme on le voit, de nouveaux essais méthodologiquement irréprochables seront utiles pour mieux évaluer la place respective de ces produits à notre disposition.

Chirurgie 

Quant à la chirurgie, de multiples interventions ont été proposées : trapézectomie, qui peut être associée ou non à une dénervation ou à une reconstruction ligamentaire ou une interposition (synthétique, silicone, métal ou pyrocarbone par exemple), arthrodèse, prothèse. Toutefois, une méta-analyse Cochrane de 2015 conclut à l’impossibilité de pouvoir comparer ces différentes techniques de manière rigoureuse, sans supériorité prouvée, que ce soit en termes de douleur ou de fonction (16). Les effets secondaires surviennent dans 10 à 19 % des cas, sans donnée précise sur le long terme, notamment le taux de révision. Il n’y a pas de nouvelle donnée depuis qui permette de mettre en évidence une technique supérieure à une autre, et force est de penser qu’il faut faire confiance à la technique que maîtrise avec beaucoup d’expérience son correspondant chirurgien de la main.

Figure 6 – Trapézectomie pour rhizarthrose avec interposition d’une bille de pyrocarbone.

Conclusion

Si la conclusion rigoureusement scientifique de cette brève revue peut paraître pauvre, il n’empêche qu’il ne faut pas pour autant laisser en déshérence nos patients souffrant d’une rhizarthrose rebelle, avec comme principales possibilités thérapeutiques les AINS si le terrain le permet, une attelle dont il faut discuter l’utilité, plutôt rigide, et une infiltration cortisonique pour passer un cap de poussée inflammatoire. L’indication opératoire tiendra compte surtout de l’évolution des douleurs dans le temps malgré cette prise en charge, en sachant qu’il faut mieux attendre devant une évolution fluctuante ou plutôt favorable dans le temps, et que par contre une forme rebelle et invalidante bénéficiera certainement d’une des nombreuses techniques chirurgicales disponibles, qui ont toutes montré une efficacité d’en moyenne environ 30 % sur la douleur et sur la fonction.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la gêne douloureuse et fonctionnelle qui peut être occasionnée par l’ATMC, au niveau d’une articulation qui est en permanence sollicitée par nos activités manuelles de force ou répétitives, et comme le smartphone est devenu l’outil le plus manipulé par nos mains, nos pouces y sont mis à contribution pour essayer de taper de plus en plus vite nos messages. La rhizarthrose est ainsi le quotidien du rhumatologue mais sa prise en charge thérapeutique est encore loin de bénéficier d’essais cliniques très rigoureux qui nous permettraient d’avoir une conduite à tenir bien définie. C’est pour cela qu’il faut aller certainement dans le sens de la réalisation d’études qui ne soient non pas tant nombreuses, mais de qualité méthodologique exigeante, pour déterminer quelles sont les meilleures options pour une prise en charge optimale, en attendant les futurs traitements régénératifs de l’arthrose, pour lesquels il faudra certainement encore patienter jusqu’à après-demain…

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

Bibliographie

1. van der Oest MJW, Duraku LS, Andrinopoulou ER et al.. The prevalence of radiographic thumb base osteoarthritis: a meta-analysis. Osteoarthritis Cartilage 2021 ; 29 : 785-92. 

2. Lin JD, Karl JW, Strauch RJ. Trapeziometacarpal joint stability: the evolving importance of the dorsal ligaments. Clin Orthop Relat Res 2014 ; 472 : 1138-45.

3. Marshall M, Peat G, Nicholls E et al. Subsets of symptomatic hand osteoarthritis in community-dwelling older adults in the United Kingdom: prevalence, inter-relationships, risk factor profiles and clinical characteristics at baseline and 3-years. Osteoarthritis Cartilage 2013 ; 21 : 1674-84. 

4. Sela Y, Seftchick J, Wang WL, Baratz ME. The diagnostic clinical value of thumb metacarpal grind, pressure-shear, flexion, and extension tests for carpometacarpal osteoarthritis. J Hand Ther 2019 ; 32 : 35-40.

5. Melville DM, Taljanovic MS, Scalcione LR et al. Imaging and management of thumb carpometacarpal joint osteoarthritis. Skeletal Radiol 2015 ; 44 : 165-77. 

6. Bae KJ, Jang HS, Gong HS et al. Prevalence and distribution of MRI abnormalities in the articular cartilage and supporting ligaments in patients with early clinical stage first carpometacarpal joint osteoarthritis. Skeletal Radiol 2020 ; 49 : 1089-97. 

7. Wilkens SC, Tarabochia MA, Ring D, Chen NC. Factors Associated With Radiographic Trapeziometacarpal Arthrosis in Patients Not Seeking Care for This Condition. Hand 2019 ; 14 : 364-70. 

8. Kroon FPB, Carmona L, Schoones JW, Kloppenburg M. Efficacy and safety of non-pharmacological, pharmacological and surgical treatment for hand osteoarthritis: a systematic literature review informing the 2018 update of the EULAR recommendations for the management of hand osteoarthritis. RMD Open 2018 ; 4 : e000734.

9. Buhler M, Chapple CM, Stebbings S et al. Effectiveness of splinting for pain and function in people with thumb carpometacarpal osteoarthritis: a systematic review with meta-analysis. Osteoarthritis Cartilage 2019 ; 27 : 547-59. 

10. Marotta N, Demeco A, Marinaro C et al. Comparative Effectiveness of Orthoses for Thumb Osteoarthritis: A Systematic Review and Network Meta-analysis. Arch Phys Med Rehabil 2021 ; 102 : 502-9. 

11. Meireles SM, Jones A, Natour J. Orthosis for rhizarthrosis: A systematic review and meta-analysis. Semin Arthritis Rheum 2019 ; 48 : 778-90.

12. Ahern M, Skyllas J, Wajon A, Hush J. The effectiveness of physical therapies for patients with base of thumb osteoarthritis: Systematic review and meta-analysis. Musculoskelet Sci Pract 2018 ; 35 : 46-54. 

13. Riley N, Vella-Baldacchino M, Thurley N et al. Injection therapy for base of thumb osteoarthritis: a systematic review and meta-analysis. BMJ Open 2019 ; 9 : e027507. 

14. Abdelsabor Sabaah HM, El Fattah RA, Al Zifzaf D, Saad H. A Comparative Study for Different Types of Thumb Base Osteoarthritis Injections: A Randomized Controlled Interventional Study. Ortop Traumatol Rehabil 2020 ; 22 : 447-54. 

15. Malahias MA, Roumeliotis L, Nikolaou VS et al. Platelet-Rich Plasma versus Corticosteroid Intra-Articular Injections for the Treatment of Trapeziometacarpal Arthritis: A Prospective Randomized Controlled Clinical Trial. Cartilage 2021 ; 12 : 51-61. 

16. Wajon A, Vinycomb T, Carr E et al. Surgery for thumb (trapeziometacarpal joint) osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2015 ; 2015 : CD004631. doi: 10.1002/14651858.CD004631.pub4. Update in: Cochrane Database Syst Rev 2017 ; 4 : CD004631.