Résumé
La rhizarthrose est l’arthrose trapézométacarpienne (TM) accompagnée ou non d’une arthrose scaphotrapézotrapézoïdienne (STT). Le traitement conservateur doit toujours être testé au moins 6 mois (orthèse sur mesure, repos, antalgiques, infiltration de corticoïdes…) avant d’envisager un traitement chirurgical.
Concernant la rhizarthrose, les traitements chirurgicaux sont anciens (plus de 40 ans) et de plus en plus efficaces à long terme.
Cet article a pour objectif de rapporter les évolutions validées des dernières années dans la prise en charge chirurgicale de la rhizarthrose.
Historique
La trapézectomie est la technique de référence historique : elle a été décrite pour la première fois en 1949 par Gervis (1). Étant donné le taux de conflits scaphométacarpiens par recul du premier métacarpien, elle a évolué vers une technique de trapézectomie avec ligamentoplastie (comblement de l’espace par un ligament ou tendon) ou suspenso-plastie (laçage d’une greffe tendineuse pour stabiliser la base du premier métacarpien). Le recul du métacarpien est ainsi limité (Fig. 1).
Parallèlement, en France, dans les années 1970, J-Y de la Caffinière a développé une prothèse trapézométacarpienne (TM) couplée (2). Cette prothèse TM a évolué constamment grâce aux progrès des prothèses de hanche. Ainsi se détachait progressivement dans les années 1980 et 1990 deux écoles de chirurgie : les « pro-trapézectomie » et les « pro-prothèse ». Dans les années 2000, les implants d’interposition en pyrocarbone (3) sont apparus pour essayer d’ouvrir une troisième voie.
Quelle que soit la technique, l’intervention était en général réalisée avec un garrot à la racine du membre sous-bloc axillaire. L’anesthésie
loco-régionale était faite par un anesthésiste chez un patient à jeun, vu préalablement en consultation et bien informé des risques de l’anesthésie et de la chirurgie. Le patient sortait le jour ou le lendemain de son intervention.
Les progrès dans la chirurgie de la rhizarthrose concernent à la fois l’anesthésie et les prothèses de troisième génération.
La chirurgie sous anesthésie walant
Walant est l’acronyme de Wide awake and local anesthesia with no tourniquet, c’est-à-dire anesthésie locale sans garrot chez un patient sans sédatif (Fig. 2).
Ce type d’anesthésie a été codifié par Donald Lalonde (5), chirurgien plasticien au Canada. Le walant présente six intérêts majeurs par rapport aux autres techniques d’anesthésie :
1. L’usage de l’adrénaline permet une hémostase primaire (clou plaquettaire) et de se passer du garrot (et donc d’éviter un afflux de sang au lâchage du garrot qui crée un hématome douloureux en post-opératoire).
2. Piquer un patient à la main est moins douloureux qu’au creux axillaire, car le mélange de walant est tamponné par du bicarbonate (pour contrer l’acidité de la lidocaïne) et injecté avec de micro-aiguilles (27G).
3. Le patient va tout sentir sans douleur : pas d’amputation de l’homonculus (le patient n’a pas la sensation de bras mort et peut bouger).
4. Le patient participe à l’intervention, car il n’est pas sédaté (on peut lui expliquer l’intervention et les consignes post-opératoires).
5. L’anesthésie walant est recommandée pour les patients fragiles : le patient n’est pas à jeun (il peut poursuivre son traitement même anticoagulant ou antidiabétique) et il évite les complications digestives, neurologiques ou cardiaques liées aux sédatifs/anesthésiants.
6. Le patient peut bouger son pouce : le chirurgien voit si son intervention permet un pouce stable et mobile ; le patient observe le résultat immédiatement (vidéo).
La chirurgie sous walant a permis de clore un vieux débat entre chirurgiens pour savoir si la ligamentoplastie est nécessaire après trapézectomie. Les séries de la littérature ne permettaient pas de trancher et les variations techniques étaient tellement nombreuses qu’il était impossible de savoir quelle était la meilleure option pour quel type de rhizarthrose à quel type de patient. En réalité, une fois que le trapèze est enlevé sous walant, la mobilisation active per opératoire du pouce permet d’observer si le métacarpien recule ou non : s’il recule tel un piston avec un bruit de « mâchonnement », une ligamentoplastie est nécessaire pour éviter le recul du métacarpien ; si le métacarpien est stable, alors le chirurgien peut s’arrêter à une trapézectomie simple.
La pose d’une prothèse TM sous walant (5) permet de choisir la meilleure tension à appliquer sur le pouce (trop tendue, le pouce est rigide ; pas assez tendue, la prothèse peut se luxer). Avec ce contrôle de la bonne stabilité de la prothèse, les chirurgiens abandonnent progressivement les longues immobilisations post-opératoires de plusieurs semaines pour une réadaptation précoce.
La chirurgie par prothèse couplée trapézométacarpienne de troisième génération
Le concept de prothèse TM inventé par J-Y de la Caffinière est une prothèse rétentive droite cimentée comme une mini-prothèse de hanche.
La comparaison avec la prothèse de hanche s’arrête là. Il n’y a quasiment jamais d’infection après une prothèse TM, contrairement à la hanche. La complication la plus redoutée à la main reste l’algodystrophie, qui n’existe pas à la hanche. Enfin, les contraintes mécaniques sont différentes : en compression à la hanche et en cisaillement à la main.
Dans les années 1990, les prothèses de deuxième génération sont devenues non-cimentées, évitant ainsi les enfoncements et descellements de la tige grâce à l’avènement des cols angulés et un arc de mobilité plus grand. Dans les années 2000, les couples de frottements s’améliorent avec une meilleure qualité des matériaux (polyéthylène, titane et métal) grâce aux progrès des prothèses de hanche. Dans les années 2010, la prothèse de troisième génération double mobilité est proposée et le taux de luxation à court terme s’est effondré (Fig. 3).
Au total, le développement des prothèses TM permet désormais d’avoir les mêmes taux de survie que les prothèses de hanche (plus de 90 % à 10 ans). L’unique défi restant est l’ancrage osseux de la cupule trapézienne dû à une mauvaise qualité osseuse ou un défaut technique de placement ou d’orientation de l’implant.
La prothèse permet de conserver le stock osseux et de rétablir la longueur de la colonne du pouce, ce qui corrige le cintre métacarpien (6) (Fig. 4).
La mobilité de l’articulation TM permet en effet d’éviter l’hyper-extension compensatrice de l’articulation métacarpophalangienne avec la déformation du pouce en Z (Fig. 5).
La prothèse est surtout utilisée en Belgique et en France, ce qui explique sa quasi-absence dans la littérature anglo-saxonne (7-9).
La chirurgie de l’arthrose péritrapézienne
La trapézectomie est une solution radicale pour traiter à la fois l’arthrose TM et scapho‐trapézo‐trapézoïdienne (STT) (10). Les chirurgiens essaient de garder le trapèze pour des raisons philosophiques (il faut toujours essayer de conserver le stock osseux) et pour des raisons mécaniques (conservation de la longueur de la colonne du pouce et conservation des attaches du scaphoïde stabilisatrices du poignet).
Des implants d’interposition en pyrocarbone ont été développés pour resurfacer à la fois la partie distale du scaphoïde et l’articulation TM (11). Une immobilisation d’au moins 3 semaines est recommandée. Les résultats sur l’indolence sont excellents mais longs à obtenir (en général 3 à 6 mois).
Les reprises chirurgicales
La chirurgie de la rhizarthrose (quelle que soit la technique) permet d’obtenir l’indolence. En cas de persistance d’une douleur de la main à plus de 6 mois d’une intervention, il faut éliminer les diagnostics différentiels (en général : douleur scaphotrapézienne, tendinopathie de Quervain ou syndrome du canal carpien) et analyser le résultat de la chirurgie.
Un bilan d’imagerie (radiographique, échographique et scanner) est indispensable. L’infection est rarissime, mais à rechercher systématiquement. L’algodystrophie est la complication la plus redoutée, mais reste un diagnostic rare.
• En cas de trapézectomie, il faut analyser l’articulation scaphotrapézoïdienne (scanner) et chercher un conflit scaphométacarpien (échographie). Il y a malheureusement peu de solutions efficaces validées pour les échecs de trapézectomies (12). De nombreux traitements ont été proposés : prothèse scaphométacarpienne, interposition scaphotrapézoïdienne ou scaphométacarpienne, reprise par suspensoplastie entre le premier et le deuxième métacarpien…
• En cas d’implant (interposition ou prothèse couplée), il faut rechercher un descellement (par scanner) ou un conflit mécanique (par échographie). Le résultat d’une trapézectomie en reprise de prothèse est meilleur qu’une trapézectomie de première intention, car le tissu cicatriciel est déjà en place et ainsi il n’est pas observé de recul du premier métacarpien (13). La reprise d’une prothèse TM est donc en général une trapézectomie qui sera un résultat satisfaisant à long terme.
Conclusion
L’allongement de la durée de vie, l’utilisation plus intensive des doigts (nouvelles technologies) et l’exigence grandissante des patients vis-à-vis de la gestion de la douleur vont certainement accroître la demande de prise en charge de l’arthrose de la main.
Les patients doivent être informés que les techniques chirurgicales sont désormais optimisées, mais jamais dénuées de risque. Une solution de reprise chirurgicale est possible sans que ce soit vécu comme un échec laissant des séquelles handicapantes.
Les prothèses couplées deviennent les solutions d’arthroplasties de référence pour l’arthrose trapézométacarpienne.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.
Bibliographie
1. Gervis WH. Osteo-arthritis of the Trapezio-metacarpal Joint treated by Excision of the Trapezium. Proc R Soc Med 1947 ; 40 : 492.
2. De la Caffinière JY. Total trapezo-metacarpal prosthesis. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot. 1974 ; 60 : 299-308.
3. Bellemère P. Pyrocarbon implants for the basal thumb arthritis. Hand Surg Rehabil 2021 ; 40S : S90-S101.
4. Lalonde DH. Conceptual origins, current practice, and views of wide awake hand surgery. J Hand Surg Eur Vol 2017 ; 42 : 886-95.
5. Larsen LP, Hansen TB. Total trapeziometacarpal joint arthroplasty using wide awake local anaesthetic no tourniquet. J Hand Surg Eur Vol 2021 ; 46 : 125-30.
6. Duché R, Trabelsi A. The concept of first metacarpal M1-M2 arch. New interest in trapeziometacarpal prostheses. Hand Surg Rehabil 2022 ; 41 : 163-70.
7. Toffoli A, Teissier J. MAÏA Trapeziometacarpal Joint Arthroplasty: Clinical and Radiological Outcomes of 80 Patients With More than 6 Years of Follow-Up. J Hand Surg Am 2017 ; 42 : 838.e1-838.e8.
8. Jager T, Barbary S, Dap F, Dautel G. Evaluation of postoperative pain and early functional results in the treatment of carpometacarpal joint arthritis. Comparative prospective study of trapeziectomy vs. MAIA(®) prosthesis in 74 female patients. Chir Main 2013 ; 32 : 55-62.
9. Apard T, Saint-Cast Y. Results of a 5 years follow-up of Arpe prosthesis for the basal thumb osteoarthritis. Chir Main 2007 ; 26 : 88-94.
10. Jager T. Total trapeziectomy. Hand Surg Rehabil 2021 ; 40S : S71-S76.
11. Chaves C, Bellemère P. Double trapeziometacarpal and scaphotrapeziotrapezoidal pyrocarbon interposition implants for pantrapezial arthritis: Midterm results and surgical technique. Orthop Traumatol Surg Res 2021 ; 107 : 102979.
12. Ledoux P. Revision procedures after trapeziometacarpal surgery. Hand Surg Rehabil 2021 ; 40S : S143-S150.
13. Apard T, Saint-Cast Y. Revision of the ARPE prosthesis by the Jones procedure: a study of 6 cases and review of literature. Chir Main 2007 ; 26 : 95-102.