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Spondyloarthrites : 20 ans de diversification des traitements

Le traitement des spondyloarthrites a connu de grandes évolutions depuis 20 ans passant d’une utilisation quasi exclusive d’anti-inflammatoires (parfois combinés au méthotrexate ou à la salazopyrine) aux traitements ciblés grâce à la découverte de nouvelles cibles et à la multiplication des options thérapeutiques. Nos raisonnements et les stratégies thérapeutiques progressent et vont continuer d’évoluer avec l’objectif d’améliorer encore la réponse aux traitements et pourquoi pas obtenir la rémission.  

Quelle était la situation de la prise en charge des spondyloarthrites il y a 20 ans ?

Il y a 20 ans, nous avions peu d’armes thérapeutiques. 

• Pour la spondyloarthrite axiale, nous avions essentiellement comme traitement de référence la phénylbutazone, un anti-inflammatoire qui n’est plus disponible. 

• Pour le rhumatisme psoriasique, nous utilisions des anti-inflammatoires et le méthotrexate. Lorsque les patients ne réagissaient pas suffisamment aux anti-inflammatoires, nous nous tournions vers la salazopyrine, qui n’est quasiment plus utilisée aujourd’hui. 

En 2003, nous avons commencé à utiliser des traitements ciblés dans les spondyloarthrites, que ce soit pour la spondyloarthrite axiale ou pour le rhumatisme psoriasique, l’infliximab ayant obtenu une AMM pour cette indication à cette époque. 

Durant cette période, nous raisonnions essentiellement en termes de classification nosologique de la maladie. La prise en charge était assez limitée dans les possibilités et dans l’éventail thérapeutique.

 

Comment résumeriez-vous les évolutions dans le domaine des spondyloarthrites durant ces 20 dernières années, en termes de nouveautés thérapeutiques et d’évolution des stratégies ? 

La multiplication des anti-TNF

Nous avons vécu une véritable révolution avec l’arrivée des traitements ciblés et la multiplication des options thérapeutiques, dont les anti-TNF. Après l’infliximab, quatre autres anti-TNF ont été disponibles : l’étanercept, l’adalimumab, le certolizumab et le golimumab. 

Puis sont apparus les biosimilaires de certains de ces anti-TNF. Cela a encore modifié les possibilités de traitement, et notamment en permettant de réduire leur coût. 

De nouvelles cibles thérapeutiques

Parallèlement, de nouvelles cibles ont été découvertes et ont permis d’engager des traitements ciblés, avec notamment les anti-IL-17A (sécukinumab, ixékizumab), et une nouvelle molécule qui arrivera dans le courant de l’année 2024 (anti IL-17 A et F, bimékizumab), et les anti-IL-23 qui ciblent une autre cytokine. Elles se divisent en deux grandes catégories : les anti-P-40 (ustékinumab) et les anti-P-19 (guselkumab, rizankizumab, tildrakizumab) en fonction de la sous-unité ciblée de la cytokine. 

Qui plus est, sont aussi apparus les inhibiteurs de JAK, comme le tofacitinib et l’upadacitinib, qui ne sont pas des biomédicaments, mais de petites molécules administrées par voie orale.

Ce grand nombre de nouveautés thérapeutiques innovantes dans leurs mécanismes d’action permet d’envisager un traitement adapté en fonction de la présentation de la maladie. 

De nouveaux critères de classification et de diagnostic

Les stratégies ont également évolué avec de nouveaux critères de classification des spondyloarthrites à partir de 2009 (critères de l’ASAS). Bien qu’ils ne soient pas validés en tant que critères de diagnostic, ils y aident. Ils ont permis l’officialisation du concept de forme non radiographique de spondyloarthrite axiale, débattu jusqu’alors. Des AMM spécifiques ont été obtenues dans cette indication. 

L’évaluation de la spondyloarthrite axiale a aussi évolué et est désormais beaucoup plus standardisée. Alors que nous utilisions essentiellement le BASDAI, aujourd’hui, en particulier dans les études, c’est le score ASDAS, qui inclut la CRP dans son calcul, qui est utilisé.

Par ailleurs, de nouveaux outils sont utilisés de plus en plus couramment pour le rhumatisme psoriasique (DAPSA). 

De nouvelles stratégies de traitement 

De nouvelles grandes tendances de stratégie thérapeutique se profilent :

• le traitement précoce et la fenêtre d’opportunité : plus on traite tôt, plus on a de chances de mettre la maladie en rémission et moins il y aura de dégâts structuraux. Cela a été plus ou moins démontré par des études dans le rhumatisme psoriasique, mais pas formellement dans la spondyloarthrite axiale ;

• le traitement à la cible. Là encore, nous avons plus d’arguments pour le rhumatisme psoriasique que pour la spondyloarthrite axiale et avec le corollaire du suivi rapproché. 

Ces concepts, qui sont bien appliqués dans d’autres maladies inflammatoires chroniques et dans d’autres rhumatismes comme la polyarthrite rhumatoïde, mettent un peu plus de temps à se positionner dans la spondyloarthrite. C’est particulièrement le cas pour le rhumatisme psoriasique et moins dans la spondyloarthrite axiale, puisque le profil évolutif n’est pas du tout le même. 

Un nouveau raisonnement

Alors que nous raisonnions plutôt par intitulé de maladie, nous avons tendance, aujourd’hui, à regrouper les spondyloarthrites dans un seul grand groupe de maladies, avec principalement une présentation phénotypique (axiale ou périphérique). Dans chacune de ces formes, peuvent exister des manifestations extra-rhumatologiques associées : inflammation oculaire (uvéite), maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique) ou manifestations cutanées avec le psoriasis. 

 

Quels progrès ont été réalisés en ce qui concerne la compréhension de la physiopathologie des spondyloarthrites ?

Des progrès importants ont porté sur différents domaines du schéma physiopathologique de la maladie. 

Développement et évolution de la maladie

Il a été précisé le rôle des agents environnementaux, du tabac, des agents infectieux, notamment digestifs, et de l’intestin dans la survenue de la maladie. L’évolution de la maladie et l’inflammation ont également été décrites, avec, là encore, un lien avec les problèmes infectieux et le microbiote intestinal via la dysbiose, à l’origine d’une inflammation à point de départ digestif. 

Rôle majeur de l’axe IL-23/IL-17

Nous avons par ailleurs compris le rôle majeur joué par l’axe IL-23/IL-17 dans le mécanisme inflammatoire de la maladie, ce qui a débouché sur des options thérapeutiques nouvelles comme les anti-IL-17 et les anti-IL-23. Ces cytokines sont produites par différentes cellules dont certaines siègent dans la muqueuse intestinale. 

Nous avons découvert le rôle de différentes populations cellulaires qui, pour la plupart, peuvent exprimer un récepteur à l’IL-23 et peuvent produire de l’IL-17. Il s’agit de cellules résidentes dans les enthèses, qui ont été mises en évidence essentiellement sur des modèles animaux, mais il est vraisemblable qu’elles existent aussi chez l’Homme.

D’autres populations cellulaires produisant l’IL-17, comme les cellules lymphoïdes innées (ILC) ou les cellules T invariantes associées aux muqueuses (MAIT), jouent un rôle important et sont susceptibles de migrer dans l’organisme et donc d’exporter le phénomène inflammatoire. 

Implication du gène HLA-B27

Des progrès physiopathologiques ont été faits sur l’implication de HLA-B27 avec des dysfonctionnements nouveaux, notamment le misfolding, c’est-à-dire le mauvais repliement des chaînes lourdes de la chaîne HLA-B27. Ces dysfonctionnements peuvent induire un stress du réticulum endoplasmique et, là aussi, produire certaines cytokines, notamment l’IL-23. 

Les différentes pièces du puzzle ont l’air de bien se connecter entre elles pour donner un schéma physiopathologique assez cohérent.

 

Comment imaginez-vous l’avenir de la prise en charge des spondyloarthrites ?

Dans le rhumatisme psoriasique

L’avenir pourrait être différent dans la maladie psoriasique par rapport à la spondyloarthrite axiale. En effet, les dermatologues traitent de plus en plus et plus précocement le psoriasis cutané par des traitements ciblés, comme les anti-IL-23 et les anti-IL17. Il est possible que l’utilisation de ces traitements ciblés dans le psoriasis puisse être à même de réduire l’incidence des nouveaux cas de rhumatisme psoriasique puisque, épidémiologiquement, le psoriasis précède le rhumatisme psoriasique dans la majorité des cas. 

Il pourrait y avoir moins de rhumatismes psoriasiques à l’avenir.

Dans les douleurs persistantes 

Des progrès pourraient être apportés si nous arrivons à individualiser, en particulier dans la spondyloarthrite axiale, de nouveaux biomarqueurs visant à évaluer l’activité inflammatoire de la maladie. Nous pourrions alors faire la part des choses dans les douleurs qui persistent alors que les patients sont traités et n’ont pas de syndrome inflammatoire biologique. Ces douleurs persistantes sont-elles des douleurs résiduelles, des douleurs nociplastiques ou s’agit-il d’un terrain fibromyalgique associé ? C’est encore très difficile à déterminer, car les évaluations actuelles sont essentiellement cliniques. Pour l’heure, nous n’avons pas de candidats pour ce type de biomarqueurs qui seraient très utiles pour le suivi de la maladie. 

Dans l’imagerie

D’autres éléments de progrès se trouvent dans les nouvelles techniques d’imagerie, avec, en particulier, de nouvelles séquences d’IRM qui vont permettre d’affiner les constatations et de diminuer les fausses interprétations ou les faux positifs des IRM des sacro-iliaques. Cela permettrait de préciser le diagnostic et donc de mieux traiter les patients. 

Dans le pronostic

Il faudra par ailleurs continuer à travailler sur les facteurs associés, éventuellement prédictifs d’une bonne réponse thérapeutique. Cela permettrait de cibler les patients et de leur proposer un traitement personnalisé. Nous avons déjà quelques pistes dans ce sens-là, puisque nous savons que, pour les formes axiales, le choix thérapeutique n’est pas forcément le même que pour les formes périphériques. De même en cas de maladie intestinale inflammatoire ou de psoriasis. 

Nous avons déjà, à partir de la classification phénotypique des patients, une ébauche de stratégie thérapeutique personnalisée, mais nous pouvons certainement faire mieux. 

Dans le diagnostic

Nous devons travailler sur la précocité du diagnostic et la précocité de la mise en route du traitement pour confirmer éventuellement cette notion de fenêtre d’opportunité initiale. Cela est plus difficile à montrer pour une maladie qui évolue plus lentement, comme les formes axiales de spondyloarthrite. 

Dans la physiopathologie

Il est important de continuer à explorer les mécanismes de la maladie afin de trouver de nouvelles cibles qui permettraient de nouvelles options thérapeutiques. Il peut être envisagé de tester des combinaisons thérapeutiques pour essayer d’améliorer la performance globale des stratégies thérapeutiques actuelles. Par exemple, pour le psoriasis, les traitements actuels donnent de bien meilleurs résultats que ceux obtenus il y a 20 ans avec des réponses cutanées qui sont passées de 50-70 à 90-100 %. Ce n’est pas le cas pour les traitements de la spondyloarthrite et du rhumatisme psoriasique, avec des réponses au mieux à 60 % pour la spondyloarthrite axiale. Nous devons viser la rémission.

 

Daniel Wendling déclare avoir des liens d’intérêt avec AbbVie, BMS, MSD, Pfizer, Nordic Pharma, UCB, Novartis, Lilly, Janssen, Galapagos et Fresenius Kabi.