Avec le changement de siècle, les choses ont évolué et les thérapeutiques de la polyarthrite rhumatoïde sont devenues les vrais antidépresseurs des rhumatologues. Nous avons retrouvé le sourire et pouvons enfin proposer des stratégies efficaces.
Quelle était la situation de la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde il y a 20 ans ?
Il y a 20 ans, je le dis toujours, c’était une situation assez dépressogène pour les rhumatologues ! La polyarthrite rhumatoïde (PR) était une pathologie particulièrement difficile avec des patients relativement jeunes présentant une maladie auto-immune invalidante et douloureuse pour lesquels nous n’avions pas les thérapeutiques adaptées. Néanmoins, il faut savoir que, sur les 20 dernières années du siècle dernier, nous avions commencé à progresser dans la prise en charge de la PR. Ce n’était pas une période totalement catastrophique.
La prise de conscience
Nous avions pris conscience que nos stratégies n’étaient pas bonnes et que nous arrivions toujours après les dégâts articulaires. La stratégie de la pyramide, qui consistait à commencer toujours par les médicaments les moins iatrogènes, mais aussi les moins efficaces, comme le Plaquenil®, puis d’augmenter progressivement, nous amenait à être toujours en retard sur les destructions articulaires. Ainsi, le premier changement dans la prise en charge de la maladie a été d’inverser la pyramide : aller plus tôt vers des thérapeutiques plus incisives, en acceptant d’adapter le risque iatrogène à la sévérité potentielle de la PR. C’est ainsi que nous avons fait progressivement du méthotrexate l’immunosuppresseur de première ligne tout en travaillant à son optimisation : posologie d’initiation, rythme d’augmentation, voies d’administration, etc.
Un traitement précoce, l’inversion de la pyramide, la place du méthotrexate sont les évolutions de la fin du XXe siècle.
Des traitements disponibles, mais limités
Néanmoins, les outils thérapeutiques étaient très limités, avec des molécules que les jeunes ne connaissent plus maintenant : les sels d’or, les dérivés thiols, etc. Certains médicaments étaient importants avec une efficacité reconnue, mais au détriment d’effets secondaires potentiels lourds (cyclophosphamide et ciclosporine) que nous utilisions dans les formes les plus destructrices, c’est-à-dire toujours trop tard. Nous avions souvent recours à la cortisone qui permettait d’apporter un certain confort aux patients, mais souvent au détriment d’effets secondaires graves, parfois catastrophiques.
J’ai le souvenir de mes consultations, toujours axées sur la PR, qui, à cette époque, se terminaient parfois dans une profonde tristesse en voyant des patients PR évoluer de façon inéluctable vers un handicap important, avec une vie familiale et sociale brisée par la maladie et pour lesquels nous n’avions pas grand-chose à proposer.
Comment résumeriez-vous les évolutions dans la polyarthrite rhumatoïde durant ces 20 dernières années, en termes de nouveautés thérapeutiques et d’évolution des stratégies ?
Au début du siècle, plusieurs évolutions ont été marquantes.
Le concept du treat-to-target et des outils d’évaluation
D’abord, le concept du treat-to-target (T2T), qu’on pourrait traduire en français par traitement à la cible, l’objectif ou la cible étant la rémission. Cet objectif a été possible parce que nous avons développé des outils d’évaluation. Sans cela, nous n’aurions peut-être pas parlé de rémission. Nous avons développé le DAS44, le DAS28, puis le CDAI et le SDAI, qui sont des outils fondamentaux pour l’évaluation de l’activité clinique de la PR. Nous avons également développé des outils d’évaluation de la progression des lésions structurales avec le score de Sharp modifié van der Heijde.
Tout cela nous a donné la possibilité de définir un objectif qui est, a minima, l’activité basse de la PR, et au mieux la rémission.
Les ACPA
Le deuxième élément important est l’apparition des anticorps anti-protéines citrullinées (ACPA). Nous devons cette innovation en grande partie au Pr Guy Serre, cytologiste et chercheur, avec la coopération de la rhumatologie toulousaine. Ces ACPA, qui sont encore au cœur de notre réflexion, se sont révélés être un marqueur très précoce, associé aux formes les plus sévères, facile à utiliser pour le médecin généraliste.
Cela a permis un adressage plus précoce grâce à une identification rapide de la maladie par les médecins généralistes.
L’arrivée des thérapeutiques
La troisième innovation, bien évidemment, c’est l’arrivée de nouvelles thérapeutiques, qui vont se succéder. Cela commence à la fin du XXe siècle, avec les travaux cliniques et les études de phase III sur les premiers anticorps anti-TNF, puis, un récepteur soluble du TNF. Nous nous retrouvons très rapidement avec cinq anti-TNF, puis une molécule qui cible les lymphocytes B, suivie d’une molécule capable de moduler la co-activation lymphocyte T-macrophage. Nous avons vu arriver les anti-IL-6 et puis, plus récemment, les inhibiteurs de JAK qui apportent un concept encore nouveau.
Cette succession de nouvelles thérapeutiques au cours des 15 premières années du XXIe siècle se combine avec les autres innovations rappelées plus tôt : traitement à la cible et traitement précoce par identification plus rapide de la PR.
La formation, les recommandations et l’encadrement sécuritaire
Il a fallu, bien sûr, s’approprier tous ces progrès. Cela n’a pas été toujours facile face à des thérapeutiques innovantes, mais dont nous ignorions encore les risques iatrogènes, en particulier par l’utilisation au long cours. Plusieurs années auront été nécessaires pour constater l’excellent rapport efficacité/tolérance de ces traitements ciblés. Nous avons fait de la formation, souvent avec l’aide des industriels, qui eux-mêmes ont mis en place des ressources d’information aux patients. Les sociétés savantes ont aussi eu une place importante : la Société française de rhumatologie d’abord, mais aussi l’Eular et l’ACR, qui ont émis des recommandations pour une bonne utilisation de toutes ces innovations qu’il fallait positionner dans nos stratégies thérapeutiques. Enfin, nous avons développé des systèmes d’encadrement et de mise en sécurité, notamment par rapport :
• aux infections, avec tout le travail réalisé sur les vaccinations,
• aux risques cardiovasculaires avec le dépistage des facteurs de risque et le traitement potentiel de ces facteurs de risque,
• aux risques de cancers en veillant à la réalisation des dépistages des cancers selon les recommandations nationales.
C’est l’ensemble des apports de ces 20 premières années du XXIᵉ siècle qui a totalement modifié la prise en charge de la PR, améliorant considérablement le devenir de la maladie. Aujourd’hui, les jeunes rhumatologues en formation ne voient plus vraiment ces PR très détruites que nous rencontrions très fréquemment au siècle dernier. Nous allons vers des PR beaucoup moins sévères.
Quels progrès ont été réalisés en ce qui concerne la compréhension de la physiopathologie de la polyarthrite rhumatoïde ?
Lorsque les premières biothérapies sont arrivées, j’ai été très inquiet en pensant que nous allions faire beaucoup de travaux sur ces molécules et oublier de travailler sur la physiopathologie de la PR. En fait, il n’en a rien été, au contraire.
L’immunologie
Les rhumatologues ont beaucoup progressé dans leurs connaissances en immunologie. Nous avons appris le rôle des différentes cytokines dans la pathologie, la place du TNF et de l’IL-6, la collaboration des cytokines entre elles, le fonctionnement de la coopération entre cellules présentatrices d’antigène et lymphocytes et, plus récemment encore, les voies de signalisation intracellulaire sous le contrôle de JAK kinase. Chaque nouvelle thérapeutique ciblée a été une étape dans nos connaissances en immuno-rhumatologie.
Les mécanismes de destruction
Nous avons également beaucoup travaillé sur les mécanismes à l’origine de la destruction articulaire. Nous avons compris la place des ostéoclastes et du système RANK/RANK ligand avec le lien via le TNF et le rôle important des synoviocytes dans la production locale des cytokines pro-inflammatoires.
Nous avons appris beaucoup dans le domaine de l’immuno-rhumatologie et sur les mécanismes lésionnels qui font le handicap des patients.
Les mécanismes à l’origine de la PR
La citrullination
L’une des questions importantes a été la place de la citrullination dans la physiopathologie de la maladie. Nous nous sommes rendu compte que la PR était une maladie auto-immune vis-à-vis des protéines citrullinées dans un contexte HLA qui favorise cette auto-immunité. Nous avons compris qu’il y avait différentes origines à cette citrullination : endogène et physiologique, et exogène. Concernant les origines exogènes, certaines bactéries ont montré leur capacité à générer des protéines citrullinées et je repense à Porphyromonas gingivalis avec tous les problèmes de parodontite. Malheureusement, nous n’en avons pas retiré grand-chose sur un plan pratique, si ce n’est quelques exigences vis-à-vis de l’hygiène dentaire. Nous avons aussi mieux compris le rôle du tabac qui active également la citrullination au niveau pulmonaire. Nous savons aujourd’hui que le tabac est un facteur de risque important de PR avec, pour corollaire, l’intérêt à arrêter le tabac en cas de maladie ou à le déconseiller chez les descendants de parents présentant une PR puisqu’ils sont plus exposés à cette maladie.
Les ACPA
Nous nous sommes rendu compte également que les ACPA précèdent de nombreuses années l’apparition des signes cliniques, à l’origine d’une situation de dysimmunité silencieuse. Avec le temps s’installe un phénomène de diversité des épitopes reconnus par ces anticorps. L’augmentation de l’étendue des épitopes citrullinés reconnus et l’élévation du titre de ces anticorps sont associées à la survenue des manifestations articulaires cliniques. Pourtant, certains individus peuvent garder très longtemps des ACPA sans pour autant développer une PR. Récemment, une équipe suédoise de l’institut Karolinska a peut-être apporté une explication à cette observation en montrant que si certains ACPA sont activateurs et délétères, d’autres sont inhibiteurs de l’auto-immunité et ainsi protecteurs.
Potentialisation des ACPA et des facteurs rhumatoïdes
Des travaux plus récents de l’équipe du Pr Guy Serre ont montré par ailleurs qu’il y avait une potentialisation des ACPA et des facteurs rhumatoïdes pour favoriser l’inflammation articulaire associée aux formes les plus sévères de la maladie.
Nous savons maintenant que ces désordres immunologiques précèdent l’apparition de la PR de nombreuses années. Ceci devrait permettre de définir le tableau de pré-PR, marqué par la présence de ces auto-anticorps, autorisant une intervention thérapeutique encore plus précoce.
Les mitochondries du système immunitaire
Je voudrais terminer avec les travaux récents de l’équipe de Cornelia Weyand (États-Unis) dont on n’a peut-être pas assez parlé et dont une mise au point a été publiée dans Clinical Experimental Immunology en 2023. Ils montrent que, associés au désordre immunitaire latent silencieux, vont apparaître des éléments favorisant la bascule vers la maladie auto-immune en augmentant le potentiel inflammatoire et en créant une rupture des checkpoints immunologiques physiologiques. Ainsi, un vieillissement prématuré des cellules de l’immunité avec une activité déficiente de la nucléase MRE11A est responsable d’un déficit de réparation de l’ADN mitochondrial. Ceci génère un déficit de production d’ATP, une mort pyroptotique des lymphocytes, une activation des macrophages synoviaux, à l’origine de la production de cytokines, chémokines, métalloprotéases, ROS et de l’induction de phagocytose, de nétose, de co-stimulation et de présentation d’antigènes (citrullinés). L’ensemble favorise la prolifération et la migration de fibroblastes, avec sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et d’enzymes à l’origine de la destruction articulaire.
La PR serait le résultat de la combinaison de deux phénomènes :
• un vieillissement cellulaire prématuré avec une déficience de l’énergie apportée par les mitochondries,
• sur un terrain marqué par un désordre immunologique silencieux favorisé par la citrullination et un terrain génétique de susceptibilité.
Il reste à comprendre le pourquoi de la localisation articulaire de la maladie autoi-mmune.
Comment imaginez-vous l’avenir de la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde ?
Pour commencer, je dirais qu’aujourd’hui les besoins non couverts sont très différents de ce qu’ils étaient il y a 20 ans. C’est évident. Nous ne sommes pas à la rémission chez tous les patients mais, progressivement, nous nous améliorons et le taux de rémission stable approche maintenant les 30-40 %. Mais ce n’est pas suffisant et nous savons qu’environ 8 à 12 % des PR échappent complètement, à l’origine des PR dites difficiles à traiter.
Pourquoi ? Cette question est très intéressante. Parfois, il s’agit de patients qui n’ont pas accepté la maladie ou qui n’ont pas compris les objectifs du traitement. Mais, bien souvent, il s’agit de patients dont les traitements sont rendus difficiles par la présence de comorbidités : infections chroniques, comme la BPCO du fumeur encore actif, diabète, obésité, état dépressif (peut-être secondaire à la douleur articulaire), etc.
Collaboration et éducation thérapeutique
Les premières actions à développer dans les années à venir sont de :
• renforcer l’information et la collaboration avec le médecin généraliste, à la fois pour un diagnostic et un adressage plus précoces et un meilleur suivi thérapeutique, partagé entre le spécialiste et le généraliste ;
• renforcer l’éducation thérapeutique des patients, qui s’est développée au cours de ces 20 dernières années, mais qui est encore largement insuffisante. L’éducation thérapeutique ne doit pas être mise en place qu’au moment où un traitement ciblé est envisagé. Elle doit être proposée pour tous les patients dès lors que le diagnostic de PR est confirmé. Le projet thérapeutique, ses objectifs, la gestion du méthotrexate, de la cortisone, des antalgiques doivent être enseignés pour obtenir une meilleure adhésion, une diminution de la iatrogénie, une amélioration du rapport bénéfice/risque et peut-être une diminution du recours aux traitements ciblés. Des moyens et une valorisation doivent être apportés pour que cette éducation thérapeutique puisse être délivrée par tous les rhumatologues pour tous les patients et non uniquement ceux qui bénéficient de la mise en place d’une biothérapie en milieu hospitalier.
Je crois vraiment qu’il faut éduquer les patients et se donner les moyens de le faire non pas aux 30-40 % qui vont vers une biothérapie, mais à l’ensemble des patients.
Optimisation de l’utilisation des médicaments
Il faut ensuite que nous arrivions à optimiser l’utilisation des médicaments actuellement disponibles. Je pense notamment aux combinaisons de thérapies ciblées. En ce sens, une étude portée par le service de rhumatologie de Bordeaux, notamment par le Pr Christophe Richez, me paraît particulièrement importante. Il s’agit d’un PHRC qui étudie l’association inhibiteurs de JAK et anti-TNF. Cette combinaison me semble logique, avec des cibles immunologiques différentes. Les anti-JAK sont des molécules formidables, avec lesquelles nous sommes revenus à des molécules à demi-vie courte, prises par voie orale mais qui ne touchent pas la voie du TNF. Ce sont des médicaments pour lesquels nous avons encore besoin de recul pour les positionner à leur juste place, mais il est logique d’étudier leur capacité à travailler en combinaison avec un anti-TNF.
De nouveaux outils thérapeutiques
La mise à disposition de nouvelles molécules devrait permettre d’améliorer encore l’efficacité thérapeutique. Les nanocorps sont de petits anticorps monoclonaux issus d’immunoglobulines de camélidés, monospécifiques (anti-TNF) ou bispécifiques (anti-TNF et anti-IL-6). Ces anticorps ont un poids moléculaire très faible (10 % d’une IgG humaine), et une capacité de pénétration de la synoviale rhumatoïde beaucoup plus importante que celle des anticorps dont nous disposons aujourd’hui, avec beaucoup moins d’immunogénicité. De plus, il semblerait qu’ils soient faciles à produire et stables. Actuellement en phase II ou III, les études devraient nous préciser à l’avenir le potentiel de ces nouveaux anticorps thérapeutiques.
De nouveaux outils diagnostiques
Enfin, nous allons nous diriger vers de nouveaux outils diagnostiques. Les différentes spécificités d’ACPA pourraient nous apporter des informations beaucoup plus pertinentes que le test générique anti-CCP utilisé aujourd’hui. Nous pourrions disposer à l’avenir d’un test ELISA qui testerait plusieurs spécificités, et, en fonction du nombre de positivités, savoir si nous nous rapprochons de la survenue de synovites, identifiées précocement par l’échographie. Je pense que ce type de kit va se développer prochainement.
Ce type de test doit nous permettre de nous rapprocher d’un diagnostic encore plus précoce et d’identifier les pré-PR. En France, nous avons pris un peu de retard dans les travaux sur ce sujet et nous n’avons pas encore de cohorte de patients avec arthralgies à haut risque d’évoluer vers une PR alors qu’il y en a plusieurs en Angleterre ou aux Pays-Bas.
Je crois cependant qu’il y a encore de la place pour faire des travaux dans ce domaine. Il faut que nous avancions, comme nous avons avancé entre 2000 et 2020 grâce à la cohorte ESPOIR. Nous devons continuer de progresser, avec d’autres cohortes, mais beaucoup plus en amont de la polyarthrite rhumatoïde classique telle que nous la connaissons.
En conclusion, je dirai que la PR est une maladie qui n’est pas vaincue, mais qui est beaucoup moins sévère, moins érosive, qui induit moins de handicap et de manifestations extra-articulaires graves, comme l’amylose et les vascularites. Il y a clairement eu des progrès considérables au cours de ces 20 dernières années et il y a aujourd’hui des perspectives que je trouve très engageantes qui me font regretter de partir à la retraite prochainement !
Alain Cantagrel déclare avoir des liens d’intérêt avec Janssen, Lilly France, Médac, MSD France, Novartis, Pfizer, UCB comme membre d’un groupe d’experts et avoir participé à des actions de formation pour les laboratoires Fabre, Janssen, Lilly France, MSD France, Nordic-Pharma, Novartis, Pfizer, Sanofi, UCB.