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La main diabétique ou chéiroarthropathie chronique due au diabète

Résumé
La main diabétique est une complication fréquente chez le diabétique, pourtant méconnue. L’hyperglycémie chronique due au diabète est responsable de la ‘’caramélisation du collagène’’, ce qui entraîne une perte importante de la mobilité des articulations, des capsules tendineuses et des tendons.
La chéiroarthropathie diabétique est une entité caractérisée par une mobilité articulaire limitée (déformation en flexion des mains) avec une atteinte cutanée proche de la sclérose systémique. L’incapacité fonctionnelle peut être importante. Le traitement repose sur la rééducation et le contrôle du diabète.
D’autres manifestations rhumatologiques sont également très répandues chez les patients diabétiques : maladie de Dupuytren, doigt à ressaut, syndrome du canal carpien, infections ostéoarticulaires.

Abstract
The diabetic hand
The diabetic hand is a frequent complication in diabetic’s patient, yet unknown. Chronic high glucose blood levels due to diabetes is responsible for “caramelization of collagen’’, leading to a significant loss of mobility of joints, tendon capsules and tendons.
The diabetic cheiroarthropathy is an entity characterized by a limited joint mobility (flexion deformity of hands) and skin alterations close to systemic sclerosis. The functional incapacity may be significant. Treatment relies on rehabilitation and diabetes control.
Other rheumatologic manifestations are also substantially prevalent among diabetic patients; Dupuytren’s disease, trigger finger, carpal tunnel syndrome, osteoarticular infections.

Le diabète est un véritable enjeu de santé publique. En 2019, plus de 4,5 millions de personnes en France étaient diabétiques. Les complications ostéoarticulaires du diabète sont fréquentes (> 50 % des diabétiques) pourtant méconnues et peu recherchées, elles sont communément regroupées sous le terme anglo-saxon de Limited joint mobility syndromes. Elles sont globalement plus marquées et fréquentes chez les patients diabétiques de type 1. Leur fréquence est corrélée à un âge avancé du patient, à la durée d’évolution du diabète, à l’équilibre du diabète et à la présence d’une microangiopathie (Fig. 1). Elles sont à l’origine d’un handicap fonctionnel parfois majeur et d’une altération de la qualité de vie des patients. La prise en charge thérapeutique est souvent problématique du fait des interactions entre les traitements rhumatologiques (AINS et infiltrations) et l’équilibre glycémique.
Par ailleurs, on observe chez les patients diabétiques une augmentation de l’incidence des arthrites microcristallines, de l’arthrose, de l’ostéoporose et des infections ostéoarticulaires, que nous n’aborderons pas ici.

 

Chéiroarthropathie diabétique, l’entité la plus fréquente du syndrome d’enraidissement articulaire

Définition

Issue du grec cheiros (main), également appelée « syndrome de la main raide » ou « main diabétique pseudosclérodermique », la chéiroarthropathie diabétique se caractérise par un flessum irréductible indolore, non inflammatoire de la main principalement en regard des métacarpophalangiennes (MCP) et des interphalangiennes proximales (IPP). La limitation prédomine sur l’extension sans phénomène de ressaut à la flexion/extension des doigts, elle débute aux IPP puis aux MCP, depuis le 5e doigt vers l’index. Le diagnostic est clinique.
Par ailleurs, en association avec le flessum, il existe un remaniement cutané de type sclérodactylie, c’est-à-dire une peau épaisse tendue et cireuse (ne se distinguant de la sclérodermie que par l’absence de télangiectasies et le respect du visage). L’atteinte est souvent bilatérale.
La prévalence varie de 8 à 50 % chez les diabétiques, contre 4 à 20 % dans la population générale (2). Le risque de développer une chéiroarthropathie est associé à l’âge, à la durée du diabète et au degré de contrôle glycémique (3). Elle peut précéder le diabète. Elle est fréquemment associée aux complications microvasculaires notamment la présence d’une neuropathie et d’une rétinopathie, mais pas d’une néphropathie (4).

Physiopathologie

Le taux élevé de glucose dans le sang et les tissus entraîne une glycosylation non enzymatique (réaction de Maillard) et des niveaux élevés de stress oxydatif aboutissant à la formation de produits de dégradation du glucose nommés advanced glycation end products (AGE). Ces AGE entraînent un dysfonctionnement cellulaire en modifiant les propriétés de différentes protéines comme le collagène, et ils deviennent résistants à la dégradation enzymatique et chimique, entraînant le déclenchement d’une cascade inflammatoire conduisant à la production de plusieurs cytokines et des facteurs de croissance causant les dommages cellulaires. Ils entraînent une perte des propriétés physico-chimiques, et notamment de l’élasticité du collagène (Fig. 2) (5).


L’AGE-cross-links au collagène s’accumule intensivement dans la peau, les tendons et les ligaments, et joue un rôle important dans le développement de la chéiroarthropathie.
La chéiroarthropathie est associée aux complications microvasculaires du diabète. En effet, la microangiopathie entraîne une hypoxie régionale, ce qui augmente la production de collagène et induit ainsi de la fibrose.

Examen clinique

Dans les formes frustres, le flessum des doigts peut être mis en évidence en demandant au patient de joindre les mains – « signe de la prière », ou de mettre la face palmaire de la main sur la table – « signe de la table » (Fig. 3). La mobilité réduite doit être confirmée par une extension passive incomplète des articulations interphalangiennes proximales et métacarpophalangiennes. Il est à noter qu’il n’y a pas de douleurs des doigts, pas de synovite.

Prise en charge thérapeutique

Il n’existe pas de traitement curatif. La prise en charge consiste en un bon contrôle glycémique et surtout en une rééducation motrice. La physiothérapie permet d’augmenter l’amplitude des mouvements et d’améliorer la force des doigts (6).

Maladie de Dupuytren

Définition

Cette maladie, décrite pour la première fois au XIXe siècle par un chirurgien français, le baron Guillaume de Dupuytren, est liée au développement insidieux d’une fibrose rétractile de l’aponévrose palmaire superficielle à l’origine d’un flessum des doigts de degré variable. Il s’agit d’une affection bénigne qui se traduit par l’apparition non douloureuse de nodules durs et de cordes sous-cutanées, avec rétraction des rayons atteints, qui évolue par poussées. Une association avec la chéiroarthropathie diabétique est fréquente.
La prévalence est de 16 à 42 % parmi les diabétiques, soit quatre fois plus que chez les sujets non diabétiques (7). Le sex-ratio est de 1. L’atteinte prédomine sur le majeur et l’annulaire, et peut être bilatérale et asymétrique dans la moitié des cas. Chez les patients non diabétiques, la maladie de Dupuytren est plus fréquente chez les hommes de 50 ans, et le cinquième doigt est le doigt le plus souvent affecté (Fig. 4). Dans la population diabétique, elle semble significativement associée à l’âge du patient et à la durée d’évolution de son diabète. L’incidence de cette pathologie est plus élevée en Europe du Nord.

Physiopathologie

Il existe une prédisposition génétique, la maladie de Dupuytren est liée à une mutation génétique d’une enzyme qui altère la structure de l’aponévrose palmaire. Les principaux facteurs favorisants sont les traumatismes, l’alcool et l’hyperglycémie de longue durée. La microangiopathie et l’ischémie entraînent une production accrue de radicaux libres et stimulent certaines cytokines (IL-1, facteurs de croissance, facteurs de nécrose tumorale) à l’origine d’une surproduction locale de collagène et donc de fibrose (7).

Clinique

En dehors de la fréquence accrue chez les patients diabétiques, la clinique est la même que chez les patients non diabétiques. Le diagnostic est clinique. À l’examen, on voit et palpe un cordon induré avec une flexion plus ou moins importante du doigt irréductible (Fig. 4).

Prise en charge thérapeutique

Le traitement consiste à optimiser l’équilibre glycémique et à utiliser la phytothérapie. La décision d’une prise en charge plus intensive est guidée par l’importance de la gêne fonctionnelle, c’est-à-dire la gêne liée à la flexion du doigt. Le traitement médical repose sur l’aponévrotomie à l’aiguille afin d’éviter une chirurgie : il s’agit d’un geste percutané qui consiste à sectionner la corde fibreuse grâce à une aiguille tranchante par des mouvements de va-et-vient (Fig. 5). En fin de séance, l’extension du doigt est obtenue. En cas de récidive (50 % à 5 ans), il est possible de répéter cette technique.


Depuis plusieurs années, il est possible d’utiliser le Xiapex® (collagénase de Clostridium histolyticum) qui a reçu l’AMM dans la maladie de Dupuytren et qui consiste en une injection dans une corde de la paume de la main, avec mesure d’extension du doigt à 24 heures du geste. Cependant, ce produit n’est pas remboursé.

Doigt à ressaut

Définition

Il s’agit d’une ténosynovite sténosante de la gaine du tendon fléchisseur associée à la présence d’un nodule sur le tendon en regard de la MCP, généralement le pouce, le majeur et l’annulaire. Elle résulte de l’inadéquation entre le diamètre des tendons et celui de la poulie, notamment A1, qui est épaissie à l’interface avec les tendons fléchisseurs. L’extension de la deuxième phalange entraîne un ressaut douloureux lors du passage du nodule sous la poulie, voire dans les formes évoluées, un blocage transitoire en flexion (Fig. 6).

La prévalence est de 5 % parmi les diabétiques de type 1 et jusqu’à 36 % chez les patients diabétiques de type 2, contre 2 % parmi les non-diabétiques. La population diabétique se caractérise par un nombre de doigts atteints plus important. Le doigt à ressaut est en corrélation significative avec la durée du diabète, mais pas avec le contrôle glycémique (8). Il serait un facteur de risque d’intolérance au glucose.

Clinique

La présentation clinique est la même que chez les patients non diabétiques. À la palpation, on retrouve un nodule sur le tendon en regard de la MCP avec phénomène de blocage pendant l’extension du doigt (8).

Prise en charge thérapeutique

À un stade précoce, l’évitement des mouvements répétitifs et le port d’attelles d’immobilisation peuvent être utiles. Par la suite, le traitement fait appel aux AINS per os et aux infiltrations locales de dérivés cortisoniques avec une efficacité chez 60 % des patients. En cas d’échec, la section de poulie par voie percutanée peut être envisagée (même principe que pour l’aponévrotomie à l’aiguille) ou une chirurgie ouverte plus lourde techniquement.

Syndrome du canal carpien

Définition

Le syndrome du canal carpien est le plus fréquent des syndromes canalaires. Il correspond à la compression du nerf médian au niveau du poignet. Sa prévalence est d’environ 14 % parmi les patients diabétiques sans neuropathie diabétique et va jusqu’à 30 % parmi les patients avec une neuropathie associée. Les facteurs de risque sont le sexe féminin, l’âge avancé, et, donc, la présence d’une neuropathie. La durée du diabète n’a pas de répercussion (9).

Physiopathologie

La prévalence accrue de ce syndrome chez les diabétiques ainsi que l’atteinte simultanée du nerf médian et du nerf ulnaire suggèrent la présence d’une pathologie du nerf sous-jacent. En effet, le diabète fragilise les fibres nerveuses et favorise les syndromes canalaires. L’hyperglycémie favorise la microangiopathie, le dysfonctionnement des macrophages et des cellules de Schwann et la diminution de l’expression des facteurs neuropathiques. Elle conduit ainsi à une ischémie neuronale relative et à une démyélinisation secondaire (10).

Clinique

La présentation clinique est identique à celle du syndrome du canal carpien chez les patients non diabétiques, c’est-à-dire des paresthésies initialement d’horaire nocturne dans le territoire du nerf médian (les trois premiers doigts) jusqu’au déficit moteur. Les douleurs sont reproduites par la percussion du nerf médian au poignet (signe de Tinel) et par une dorsiflexion soutenue du poignet (signe de Phalen).

Prise en charge thérapeutique

La prise en charge repose sur l’équilibre du diabète, le port nocturne d’une attelle d’immobilisation du poignet en position neutre et les infiltrations locales de glucocorticoïdes en fonction de l’équilibre du diabète. À noter, qu’il n’est pas recommandé de répéter les infiltrations. En cas d’échec, la chirurgie est donc indiquée, notamment la libération endoscopique du nerf médian.

Conclusion

Les pathologies de la main chez les patients diabétiques sont fréquentes, et leur prévalence augmentera dans les années à venir, avec la progression du diabète. Il est essentiel pour les rhumatologues de connaître ces pathologies.
La recherche précoce à l’examen clinique, chez tout diabétique, de pathologies de la main est nécessaire afin de soulager les patients, de limiter l’impotence fonctionnelle et d’éviter des chirurgies potentiellement inutiles. La prise en charge thérapeutique diffère peu entre les diabétiques et les non-diabétiques ; il faut cependant être prudent avec les corticoïdes locaux ou oraux susceptibles de potentialiser le déséquilibre du diabète. Une surveillance accrue des glycémies en post-infiltration est souhaitable pour éventuellement adapter le traitement. 

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

Bibliographie

1. Larkin ME, Barnie A, Braffett BH et al. Musculoskeletal complications in type 1 diabetes. Diabetes Care 2014 ; 37 : 1863‑9. DOI: 10.2337/dc13-2361.
2. Abate M, Schiavone C, Salini V, Andia I. Management of limited joint mobility in diabetic patients. Diabetes Metab Syndr Obes Targets Ther 2013 ; 6 : 197‑207. DOI: 10.2147/DMSO.S33943.
3. Gerrits EG, Landman GW, Nijenhuis-Rosien L, Bilo HJ. Limited joint mobility syndrome in diabetes mellitus: A minireview. World J Diabetes 2015 ; 6 : 1108‑12. DOI: 10.4239/wjd.v6.i9.1108.
4. Labad J, Rozadilla A, Garcia-Sancho P et al. Limited Joint Mobility Progression in Type 1 Diabetes: A 15-Year Follow-Up Study. Int J Endocrinol 2018 ; 2018 : 1897058. DOI: 10.1155/2018/1897058.
5. Hill NE, Roscoe D, Stacey MJ, Chew S. Cheiroarthropathy and tendinopathy in diabetes. Diabet Med J Br Diabet Assoc 2019 ; 36 : 939‑47. DOI: 10.1111/dme.13955.
6. Goyal A, Tiwari V, Gupta Y. Diabetic Hand: A Neglected Complication of Diabetes Mellitus. Cureus 2018 ; 10 : e2772. DOI: 10.7759/cureus.2772.
7. Al-Homood IA. Rheumatic conditions in patients with diabetes mellitus. Clin Rheumatol 2013 ; 32 : 527‑33. DOI: 10.1007/s10067-012-2144-8.
8. Papanas N, Maltezos E. The diabetic hand: a forgotten complication? J Diabetes Complications 2010 ; 24 : 154‑62. DOI: 10.1016/j.jdiacomp.2008.12.009.
9. Comi G, Lozza L, Galardi G et al. Presence of carpal tunnel syndrome in diabetics: effect of age, sex, diabetes duration and polyneuropathy. Acta Diabetol Lat 1985 ; 22 : 259‑62. DOI: 10.1007/BF02590778.
10. Pourmemari MH, Shiri R. Diabetes as a risk factor for carpal tunnel syndrome: a systematic review and meta-analysis. Diabet Med J Br Diabet Assoc 2016 ; 33 : 10‑6. DOI: 10.1111/dme.12855.
11. Jalil A, Barlaan PI, Fung BKK, Ip JW-Y. Hand infection in diabetic patients. Hand Surg Int J Devoted Hand Up Limb Surg Relat Res J Asia-Pac Fed Soc Surg Hand 2011 ; 16 : 307‑12. DOI: 10.1142/S021881041100559X.