Site professionnel spécialisé en Rhumatologie

Eular 2022 // Arthrose : cible, thérapeutique, alimentation…

1 Et si les mastocytes étaient la bonne cible dans l’arthrose ?

L’inflammation synoviale est une cible thérapeutique explorée depuis plusieurs années désormais dans l’arthrose, et longtemps les études se sont focalisées sur le type cellulaire le plus représenté dans la synoviale arthrosique : le macrophage. Le mastocyte, plus discret, est plus récemment devenu l’objet d’une attention particulière.
En effet, plusieurs études comparant les infiltrats synoviaux de polyarthrite rhumatoïde (PR) et d’arthrose avaient suggéré que les mastocytes étaient plus représentés dans la synoviale arthrosique que dans celle de PR. Une étude présentée cette année à l’Eular a conforté cette hypothèse. En utilisant un modèle d’intelligence artificielle, les auteurs ont comparé les caractéristiques des synoviales obtenues au moment d’une prothèse de genou chez 137 patients avec PR et 152 patients avec gonarthrose. Après la densité cellulaire (plus importante dans la PR) et la fibrose (plus importante dans l’arthrose), le taux de mastocytes était le facteur le plus discriminant entre les deux pathologies, et plus élevé dans l’arthrose. Il semble donc que le mastocyte joue un rôle particulier dans l’arthrose.

Ces résultats intéressants ont été corroborés par une étude post-hoc réalisée à partir de deux essais randomisés de phase 3 évaluant la calcitonine dans la gonarthrose (essais négatifs, NCT00486434 et NCT00704847). L’objectif de cette étude était d’évaluer l’incidence de la prise d’antihistaminiques sur la progression radiographique de la gonarthrose. Sur les 1 485 participants qui avaient complété l’un des deux essais, 158 rapportaient la prise d’antihistaminiques, comparables à ceux qui n’en prenaient pas en termes d’âge (64,5 contre 64,4 ans en moyenne, respectivement) et d’IMC (28,1 contre 29,0 kg/m² en moyenne, respectivement), mais avec une proportion de femmes un peu plus élevée dans le groupe traité par antihistaminiques (75,2 % contre 64,1 %).
À 2 ans, la progression du pincement fémoro-tibial médial était significativement moins marquée dans le groupe rapportant la prise d’antihistaminiques (-0,19 mm [IC95 % -0,29 ; -0,08]) que dans le groupe contrôle (-0,32 mm [IC95 % -0,36 ;-0 ,29], p = 0,02) (Fig. 2). Les auteurs rapportaient aussi une tendance significative pour une association entre la durée du traitement antihistaminique et l’effet protecteur sur l’évolution structurale (p = 0,02) mais l’effectif des patients était relativement réduit, et ce résultat doit être interprété avec précaution.
Quoi qu’il en soit, ces deux études très différentes apportent des éléments plaidant pour un rôle du mastocyte dans la physiopathologie de l’arthrose, et que cette cellule pourrait être une cible thérapeutique si ces résultats se confirment dans des études de plus grande échelle.

Mehta B, goodman S, Dicarlo E et al. Distinguishing osteoarthritis and rheumatoid arthritis synovium with machine learning using automated cell density and pathologist scores. OP0223 ; Eular 2022.
Bihlet AR, Miller CP, Byrjalsen I et al. Antihistamine use and structural progression of knee oa: a post- hoc analysis of two phase III clinical trials. OP0230 ; Eular 2022.

2 Le poids du poids dans la gonarthrose

On pensait avoir fait le tour de la question du poids dans la gonarthrose, un facteur de risque bien connu de la maladie… Mais deux études prospectives enfoncent un peu plus le clou et offrent des messages importants à délivrer à nos patients.
Une première étude australienne s’est intéressée aux trajectoires de l’IMC de près de 25 000 participants suivis prospectivement pendant environ 25 ans. L’IMC était calculé à 18-21 ans puis mesuré jusqu’à 62 ans en moyenne. Ensuite, l’incidence des prothèses totales de genoux (PTG) était estimée dans chaque trajectoire à partir d’un registre national recensant les chirurgies prothétiques.
Au total, six trajectoires ont été définies, du risque de prothèse incidente le plus faible au plus élevé :
– TR1 (IMC bas → IMC normal),
– TR2 (IMC normal → surpoids limite),
– TR3 (IMC normal → surpoids),
– TR4 (surpoids → obésité limite),
– TR5 (IMC normal → obésité),
– TR6 (surpoids → obésité sévère) (Fig. 3).


Les hazard ratios pour la PTG étaient particulièrement élevés dans la TR5 (7,00 [IC95 % 5,54 ; 8,80]) et la TR6 (8,59 [6,44 ; 11,46]). Une analyse médico-économique estimait ensuite que si chaque individu d’une trajectoire avait été dans la trajectoire inférieure, cela aurait permis d’économiser 373 millions de dollars australiens, et surtout pour les catégories dont l’IMC était normal à 18-21 ans !

Dans une seconde étude multicentrique, l’objet était d’évaluer sur un suivi de 4-5 ans si la perte de poids pouvait :
1) protéger les patients à risque de gonarthrose d’en développer une
2) et protéger les patients avec gonarthrose d’une évolution structurale péjorative.
De façon attendue, la prise de poids était associée à l’incidence de la gonarthrose d’une part et la progression radiographique d’autre part. Dans cette étude, il était estimé qu’une diminution de l’IMC d’une unité en population générale pouvait diminuer le risque de gonarthrose incidente chez les patients à risque de 13 % et celui de progression structurale chez les patients avec gonarthrose de 10 %.
Ces deux études épidémiologiques donnent donc des éléments de réflexion sur la prévention de la gonarthrose, et on peut notamment en retirer deux leçons. Il semble que la prise de poids augmente d’autant plus le risque de prothèse que l’IMC était normal à 18-21 ans, et limiter la prise de poids pourrait générer des économies considérables de dépenses de santé. D’autre part, il faut continuer à encourager nos patients en surcharge pondérale à perdre du poids : cela améliorera leur pronostic structural !

Hussain SM, Ackerman I, Wang Y et al. Trajectories of body mass index from early adulthood to late midlife and incidence of total knee arthroplasty for osteoarthritis: findings from a prospective cohort study. OP0226 ; Eular 2022.
Salis Z, Keen H, Gallego B et al. Weight loss is associated with reduced incidence and progression of structural defects in knee osteoarthritis, as assessed by radiography over 4 to 5 years: a prospective multi-cohort study. OP0227 ; Eular 2022.

3 L’adalimumab dans la gonarthrose congestive : un essai randomisé

Plusieurs essais randomisés ont étudié l’effet de certaines biothérapies (anti-IL-1, anti-IL-6, anti-TNF) dans l’arthrose, mais la plupart ont été conduits dans l’arthrose digitale érosive. Aucune biothérapie n’a montré d’effet sur la douleur comparativement à un placebo, mais certaines données suggèrent que l’adalimumab diminue la progression des érosions dans les IPD inflammatoires.
Plus récemment, l’inhibition de l’IL-1 a été testée en ciblant spécifiquement les arthroses « inflammatoires » (c’est-à-dire, avec des signes inflammatoires en imagerie), sans montrer, là encore, d’efficacité supérieure au placebo sur la douleur dans l’arthrose digitale ou la gonarthrose. Cette approche n’avait pas été tentée avec un anti-TNF, et c’était précisément l’objet de cet essai randomisé contrôlé comparant l’effet de l’adalimumab (40 mg/14 jours, n = 30) à celui d’un placebo (n = 28) chez des patients présentant une gonarthrose avec épanchement articulaire (essai OKINADA).
Aucune différence n’était observée entre les groupes concernant le critère de jugement principal, à savoir le taux de répondeurs OMERACT-OARSI à 16 semaines (p = 0,62), mais aussi concernant l’ensemble des critères de jugement secondaires (Fig. 4). Le profil de tolérance était comparable dans les deux groupes.


Cette étude s’ajoute donc à la multitude d’essais négatifs évaluant l’efficacité des biothérapies sur la douleur arthrosique, que les patients présentent des signes inflammatoires ou non. Un doute persiste néanmoins sur un possible effet structural, et ces données n’ont pas été présentées cette année. Nul doute que les données d’imagerie comparant les IRM réalisées à l’inclusion et à 52 semaines dans cette étude seront présentées prochainement.

Maksymowych WP, Bessette L, Lambert RG et al. Osteoarthritis of the knee, inflammation, and the effect of adalimumab (OKINADA): a randomized placebo-controlled trial. OP0229 ; Eular 2022.

4 Focus sur les comorbidités dans l’arthrose

De nombreuses études ont bien montré que la prévalence des comorbidités métaboliques et cardiovasculaires est plus élevée chez les patients arthrosiques qu’en population générale, en partie du fait d’une plus grande sédentarité liée aux douleurs chroniques des membres inférieurs. Une première étude néerlandaise réalisée sur une base de données de santé de 2,5 millions d’individus avait pour originalité d’évaluer un très grand nombre de comorbidités d’une part, et d’autre part de considérer la chronologie d’apparition de ces comorbidités avant ou après le diagnostic d’arthrose de hanche ou de genou.
Outre un surrisque cardiovasculaire associé à l’arthrose de hanche ou de genou, quelques associations originales ont été mises en évidence, comme celle entre la fibromyalgie et la coxarthrose – mais pas la gonarthrose qui, elle, était associée à la cataracte ou la perte d’audition. Enfin une association entre les deux types d’arthrose a été décrite avec les troubles du sommeil ou l’anémie, et entre la gonarthrose et l’insuffisance rénale chronique.
Pour ces deux dernières comorbidités, on peut questionner le rôle des traitements et notamment des AINS. C’était l’objet d’une autre étude, anglaise cette fois, qui a examiné dans une très large base de données de santé de 20 millions d’individus, la contribution des AINS au risque de comorbidités chez les patients arthrosiques et non arthrosiques (n = 261 000 participants dans chaque groupe).
Ce qu’il faut retenir, c’est que les patients arthrosiques étaient d’autant plus à risque de développer des comorbidités cardiovasculaires ou psychologiques qu’ils étaient traités par AINS, mais ce n’était pas le cas pour d’autres comorbidités comme les cancers ou les comorbidités gastro­-intestinales (après ajustement sur la prise d’IPP). Les patients traités par coxibs étaient un peu plus à risque de développer des cancers, sans que cela ne soit très bien compris.
Ces études épidémiologiques ont leurs limites, mais elles apportent un éclairage sur des comorbidités jusqu’alors relativement méconnues chez les patients arthrosiques : troubles du sommeil, troubles psychologiques ou neurosensoriels. Il est impossible de déduire une causalité de ces résultats, mais de futures études devront certainement se pencher sur ce sujet.

Kamps A, Runhaar J, de Wilde M et al. Risk of comorbidity following osteoarthritis diagnosis: a cohort study in the netherlands from the FOREUM* initiative. OP0225.
Swain S, Kamps A, Runhaar J et al. Use of non-steroidal anti-inflammatory drugs and risk of comorbidities in people with and without osteoarthritis – a UK primary care database cohort study. OP0228 ; Eular 2022.

5 Quel intérêt pour le régime végétarien dans l’arthrose métabolique ?

Les mesures non pharmacologiques sont un élément central de la prise en charge de l’arthrose des membres inférieurs, au premier rang desquels se trouvent l’activité physique et un régime amaigrissant chez les patients en surcharge pondérale. Pourtant, peu d’essais randomisés ont évalué leur efficacité.
Un essai randomisé a étudié l’effet d’un programme multidisciplinaire « Plants for Joints » (PFJ) associant un régime végétarien à base d’aliments complets, un programme d’activité physique et de gestion du stress (n = 32) en comparaison aux soins habituels (n = 32) chez des patients présentant une arthrose de hanche ou de genou avec syndrome métabolique (âge moyen : 63 ± 6 ans, 84 % de femmes, IMC moyen 33 ± 5 kg/m²). Après 16 semaines, l’amélioration du score WOMAC était de 11 points (sur une échelle de 0 à 96, IC95 % 6 ; 16) supérieure chez les patients suivant le programme PFJ que dans le groupe contrôle (p = 0,0001), montrant une efficacité de cette approche pour traiter les symptômes de l’arthrose des membres inférieurs (Fig. 5).

En parallèle, les patients inclus dans le groupe PFJ avaient perdu significativement plus de poids : -3,9 kg (IC95 % -5,8 ; -2,0) à 16 semaines que dans le groupe contrôle (p < 0,001), et cette perte concernait surtout la masse grasse. Il est donc possible que l’amélioration observée des symptômes avec le programme PFJ soit donc médiée par la perte de poids, et il est difficile de discerner l’effet de l’activité physique de celui du régime végétarien… Néanmoins, cette étude a le mérite de rappeler que les mesures non pharmacologiques visant à promouvoir l’activité physique et à perdre du poids sont efficaces dans l’arthrose de hanche ou de genou !

Walrabenstein W, Wagenaar C, Van der Leeden M et al. Effect of a multidisciplinary lifestyle program on patients with metabolic syndrome-associated osteoarthritis: the plants for joints randomized controlled trial. POS0181 ; Eular 2022. 

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.