Le Pr Yves Henrotin revient sur l’étude FLEXOA qu’il a menée sur l’association d’extraits brevetés de Curcuma longa et Boswellia serrata et en présente les résultats obtenus, notamment en termes de réduction de la douleur et d’amélioration de la qualité de vie. Le Dr Alice Courties, après un rappel épidémiologique et phénotypique, résume les principales recommandations de la SFR en partenariat avec la Sofmer qui ont été présentées à la SFR 2024.
Une étude clinique randomisée dans l’arthrose digitale : défi relevé !
Étude FLEXOA : une étude clinique randomisée en double aveugle
Enfin, nous disposons d’une étude clinique randomisée en double aveugle multicentrique sur l’arthrose digitale associée ou non à l’arthrose du pouce. L’objectif de cette étude multicentrique (11 centres en Belgique) était de tester l’efficacité d’une association (CBTIL) de deux extraits brevetés et exclusifs (et de vitamine D), l’un de Curcuma longa (CURTIL03) et l’autre de Boswellia serrata (BOSTIL01) versus placebo après 3 mois de traitement. Les 163 patients inclus (hommes et femmes de plus de 40 ans) répondaient aux critères ACR classiques d’arthrose digitale et présentaient à l’inclusion une douleur comprise entre 40 et 80/100 mm (échelle EVA) sur une main.
Pendant 3 mois, l’un des deux groupes recevait deux comprimés de l’association, un le matin et un le soir, et le second un placebo (Fig. 1). Les patients ont été évalués à l’inclusion, à 1 et à 3 mois sur le plan de la douleur (critère principal) et de la fonction. De plus, les prélèvements sanguins ont été effectués afin de mesurer des biomarqueurs sériques de la douleur, de l’inflammation, de la dégradation du cartilage et de l’os (résultats pas encore parus).
Figure 1 – FLEXOA : schéma de l’étude.
Étude FLEXOA : des résultats positifs
• Les résultats montrent une diminution significative de la douleur après 3 mois (Fig. 2). Il s’agit d’un effet faible à modéré (effect size 0,3), mais qui est supérieur aux effets des autres traitements observés dans les différentes méta-analyses. Par exemple, pour un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), l’effect size se situe autour de 0,18.
Figure 2 – FLEXOA : évolution de l’EVA de la douleur au doigt.
• Ils montrent également que la proportion de patients qui atteignaient le seuil cliniquement acceptable (PASS : patient acceptable symptom state = EVA < 40 mm) était supérieure dans le groupe traité par l’association par rapport au placebo (Fig. 3). Dans le groupe CBTIL, 60 % des patients rapportaient une douleur inférieure à 40 mm sur EVA après 3 mois de traitement. Ce qui est un effet cliniquement significatif. En moyenne, la douleur dans le groupe CBTIL était de 34 mm.
Figure 3 – FLEXOA : amélioration de la douleur.
• De plus, il a été observé une amélioration plus importante de la qualité de vie dans le groupe CBTIL que dans le groupe placebo (perception de l’état de santé – SF-36), notamment du sous-score santé et du sous-score douleur (Fig. 4).
Figure 4 – FLEXOA : qualité de vie.
En revanche, il n’y a pas de différence significative entre les groupes, mais une tendance, sur la fonction évaluée par la force de préhension ou par le questionnaire FIHOA.
Concernant la tolérance, le nombre d’effets secondaires recensés dans le groupe placebo ou dans le groupe traité est tout à fait équivalent, sans effets graves détectés, en tout cas liés avec certitude au produit.
Dans un contexte d’essai clinique répondant aux standards de qualité, cette étude démontre que ce produit à base d’extraits exclusifs de Curcuma longa et de Boswellia serrata est significativement actif sur la douleur avec une très bonne tolérance. Pour nos patients arthrosiques, fragilisés, présentant souvent des comorbidités, c’est une belle nouveauté dans l’arsenal thérapeutique du médecin, permettant une alternative aux traitements standard (AINS, paracétamol…) pour la gestion à long terme de la douleur des doigts liée à l’arthrose.
Quel est le mécanisme d’action ?
La curcumine est un excellent anti-inflammatoire. Une étude transcriptomique récente, qui a analysé l’expression d’une vingtaine de milliers de gènes impliqués directement dans la réponse immunitaire et dans l’inflammation, a montré que la curcumine comme l’acide boswellique régulaient de nombreux gènes (plus de 300 chacun). Et, ce qui est très intéressant, c’est qu’ils ne régulent pas n’importe quels gènes, mais ceux impliqués notamment dans les voies de contrôle de la production de prostanoïdes, de cytokines pro-inflammatoires et de métalloprotéases. Et, surtout, ces deux extraits agissent par des voies différentes, ce qui explique leur complémentarité d’action.
Il est important de préciser que les résultats de cette étude, spécifiques de l’association testée, ne peuvent pas être extrapolés à tous les produits qui contiennent de la curcumine ou du Curcuma longa ou du Boswellia serrata.
Étude FLEXOA : en pratique
Ce traitement peut être bénéfique pour tous les patients douloureux qui souffrent d’arthrose digitale, puisque s’agissant de la gestion d’une douleur sur une longue période, un traitement qui présente une très bonne tolérance est un atout. De plus, il s’agit d’un très bon adjuvant du traitement non pharmacologique. En effet, la rééducation fonctionne, mais l’adhérence du patient est souvent freinée par la douleur. Réduire la douleur, au moins pendant la rééducation, est un réel plus.
En pratique, il semble pertinent, si on arrive à bien gérer la douleur au bout de 3 mois (comme le montre FLEXOA), d’organiser ensuite des fenêtres thérapeutiques et de proposer aux patients de reprendre le traitement quand l’arthrose est de nouveau active, quand il y a des flambées inflammatoires.
Arthrose de la main : les premières recommandations françaises
L’arthrose digitale : une pathologie très fréquente et très handicapante
L’arthrose des mains est une pathologie très fréquente. Une femme sur deux et un homme sur quatre développeront au cours de leur vie une arthrose des mains symptomatique. Alors qu’elle est parfois considérée comme une maladie peu handicapante ou peu sévère, nous savons que le retentissement fonctionnel est très important dans la vie quotidienne des patients. En effet, 50 % d’entre eux vont avoir des difficultés pour écrire, pour manipuler des petits objets. Ils ont également quatre fois plus de risques d’avoir des difficultés pour s’alimenter. Par ailleurs, il peut exister un retentissement esthétique non négligeable.
Une prédominance féminine
On ne sait pas très bien pourquoi les femmes sont plus touchées que les hommes. Ce que l’on sait, c’est que la prévalence de l’arthrose des mains est quasiment équivalente avant l’âge de 50 ans, après 50 ans, elle explose chez les femmes en période de péri-ménopause/ménopause. Un facteur hormonal est donc suspecté. Quand, chez les souris, on crée des ménopauses précoces, on observe des lésions du cartilage qui apparaissent. Pour autant, chez les femmes, les traitements hormonaux substitutifs n’ont pas démontré d’efficacité sur les symptômes et nous manquons d’essais randomisés prospectifs bien menés.
Une maladie très hétérogène
L’arthrose des mains est une maladie très hétérogène contrairement à celle du genou ou de la hanche qui ne concerne qu’une seule articulation. On essaye de mieux phénotyper nos patients présentant de l’arthrose des mains, car cette hétérogénéité pourrait être à l’origine des échecs de certains traitements. Il y a notamment une composante neuropathique (environ 30 % des patients), qui peut être détectée par des questions très simples (fourmillements, décharges électriques, hypoesthésies en regard des articulations douloureuses…). Est-ce lié à une lésion nerveuse au niveau des doigts ou est-ce un signe de sensibilisation centrale ? Cela reste encore à déterminer.
Les différents phénotypes
Au total, on distingue d’abord deux phénotypes, qui n’auront pas la même prise en charge :
• l’arthrose de la base du pouce,
• l’arthrose des doigts longs.
On y ajoute un sous-phénotype clinique, l’arthrose inflammatoire, avec des patients qui vont présenter des synovites, qui sont plus douloureuses, et qui ont une progression généralement plus rapide. Ce sous-phénotype peut faire l’objet d’études spécifiques pour les traitements.
Les recommandations françaises
Les premières recommandations françaises de prise en charge de l’arthrose de la main viennent d’être présentées, sous l’égide de la SFR, en partenariat avec la Sofmer. Elles se veulent pratiques.
Les principes généraux
• Il s’agit de bien expliquer aux patients quels sont les objectifs du traitement, c’est-à-dire un traitement symptomatique, car nous ne disposons malheureusement pas à ce jour de traitement qui ralentirait la progression de la maladie.
• Il s’agit d’autogestion. Le patient va devoir se prendre en charge. Il faut donc insister sur l’éducation de la maladie.
• En cas d’échec des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques bien menés, il peut être parfois possible d’adresser le patient à un chirurgien de la main.
Les principes de prise en charge
Cette prise en charge comprend à la fois des mesures pharmacologiques et non pharmacologiques, sachant que la gêne principale mise en avant par les patients est la gêne fonctionnelle.
Parmi les mesures non pharmacologiques, on retrouve :
• les orthèses de repos, particulièrement pour la base du pouce
• et les exercices, qui ont démontré une efficacité. Les auto-exercices sont généralement faits à domicile. Ceux-ci sont bien précisés dans les recommandations.
Concernant les traitements pharmacologiques, on recommande principalement les AINS, topiques si c’est possible, puisque ce sont des articulations superficielles et per os en cas d’atteintes multiples, notamment d’atteinte arthrosique sur d’autres sites.
Contrairement aux recommandations de l’Eular, les françaises introduisent la corticothérapie faible dose. En effet, un essai a montré l’efficacité dans les poussées inflammatoires de la prednisolone en faible dose, en cures courtes, compte tenu des effets secondaires possibles.