Résumé
En 2023, le traitement du lupus érythémateux systémique associe des mesures générales et des traitements médicamenteux guidés par les atteintes d’organes. La prise en charge thérapeutique « Treat-to-target » vise la rémission. Hors rares contre-indications, tous les patients lupiques doivent recevoir de l’hydroxychloroquine. Le contrôle des poussées nécessite souvent une corticothérapie, qui doit être prescrite à la posologie la plus faible possible en fonction de l’atteinte d’organe et pour la durée la plus courte possible. En cas d’activité inflammatoire non contrôlée, de rechute ou de corticodépendance, les immunosuppresseurs conventionnels et/ou les traitements biologiques peuvent être indiqués. Après des années d’échecs, une meilleure compréhension de la physiopathologie du lupus et surtout une amélioration du design des essais cliniques permettent d’envisager de nouveaux traitements et un renouveau de la prise en charge du lupus.
Abstract
Novelties in the management of Systemic Lupus in 2023
In 2023, the treatment of systemic lupus erythematosus (SLE) combines general measures and drug treatments guided by organ involvement. “Treat-to-target» therapeutic management aims at remission. With the exception of a few rare contraindications, all SLE patients should receive hydroxychloroquine. Control of relapses is often based on corticosteroid therapy at the lowest possible dose and for the shortest possible duration. In case of uncontrolled disease, relapse or corticosteroid dependency, conventional immunosuppressive agents and/or biologics may be indicated. After years of failures, a better understanding of the pathophysiology of lupus and, above all, improved clinical trial design have made it possible to foresee new treatments and a renewal of the management of lupus. Keywords: Systemic lupus, Remission, Treat-to-target, Treatment
Introduction
Le lupus érythémateux systémique (LES) est caractérisé par l’association de manifestations cliniques protéiformes à la présence d’anticorps dirigés contre certains antigènes du noyau cellulaire (1). Le pronostic du LES s’est considérablement amélioré au cours des dernières décennies (2), notamment en raison du diagnostic plus précoce (3) et des progrès thérapeutiques (4). Dans la majorité des cas, la maladie évolue par poussées entrecoupées de périodes de rémission (5). On oppose schématiquement les formes bénignes, principalement cutanéo-articulaires aux formes graves associant des atteintes viscérales. En absence de traitement curatif (6), la prise en charge thérapeutique du LES repose sur des mesures générales, un traitement de fond par hydroxychloroquine, l’utilisation d’une corticothérapie à dose raisonnée en cas de poussée, et en fonction de la nature et de la sévérité des atteintes (Fig. 1), la prescription éventuelle d’un traitement immunosuppresseur et/ou d’une biothérapie (7). La meilleure compréhension de la physiopathologie du LES permet désormais d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques ciblées (6).
Mesures générales
Il est particulièrement important de souligner le rôle de l’observance thérapeutique (6), de l’arrêt du tabac (8), de la contraception (en privilégiant les progestatifs purs en cas d’antécédent thrombotique ou de forte activité de la maladie), et de la mise à jour du statut vaccinal (9), y compris contre le SARS-CoV2 (10, 11). Il est également essentiel de rappeler que la grossesse doit être programmée en raison du risque de poussée pouvant engager le pronostic materno-fœtal. La photoprotection (écrans solaires à fort indice protecteur ≥ 50 FPS) doit être recommandée. Ceci justifie une supplémentation en vitamine D du fait des taux sanguins habituellement bas retrouvés dans ce contexte.
Traitements topiques
Le traitement de première ligne du lupus cutané, et plus particulièrement de la forme discoïde, repose sur les corticoïdes topiques (12) qu’il convient d’éviter de manière prolongée, en particulier sur le visage. Une alternative est le tacrolimus topique à 0,1 % qui présente l’inconvénient d’occasionner une sensation de brûlure, parfois mal tolérée.
Traitements systémiques
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être utiles en traitement d’appoint des formes articulaires mineures de LES. Il conviendra d’être vigilant en cas d’atteinte rénale préexistante. Pour mémoire, l’ibuprofène est contre-indiqué du fait du risque théorique de méningite aseptique.
Les antipaludéens de synthèse
Le traitement de fond du LES fait appel aux antipaludéens de synthèse (APS) (7), en particulier à l’hydroxychloroquine (HCQ). La chloroquine est associée à un risque de rétinopathie plus important (13) et n’est plus commercialisée en France depuis fin 2022. Le traitement par APS doit être poursuivi pendant la grossesse et est compatible avec l’allaitement. L’efficacité des APS est retardée et ne peut être pleinement évaluée avant 3 à 6 mois de traitement. Avant d’envisager un échec thérapeutique, il faut idéalement s’assurer par un dosage sanguin de l’HCQ (14) qu’il ne s’agit pas d’un défaut d’observance thérapeutique. De plus, un taux sanguin d’HCQ > 750 ng/ml est associé à un meilleur contrôle de l’atteinte cutanée. La surveillance ophtalmologique doit être systématique. Il existe un débat relatif à la dose d’HCQ recommandée. En effet, des travaux récents montrent que les posologies ≤ 5 mg/kg/jour sont associées à moins de toxicité rétinienne, mais un risque de poussée plus important. A contrario, l’efficacité est renforcée pour les posologies > 5 mg/kg/jour, mais le risque de rétinopathie est plus important, tout en restant au final assez limité (< 5 % à 10 ans dans les études les plus récentes).
La corticothérapie générale
Les corticoïdes demeurent l’un des traitements majeurs des poussées au cours du LES. Hors gravité particulière, les doses initiales ne devraient pas dépasser 0,3 à 0,5 mg/kg/jour en traitement d’attaque, y compris en cas de néphropathie lupique proliférative. La décroissance progressive est modulée par la sévérité de la maladie avec un objectif d’arrêt entre 3 et 6 mois lorsque cela est possible ; la dose de prednisone acceptable au long cours ne devant pas dépasser 5 mg par jour.
Les immunosuppresseurs
Le recours aux immunosuppresseurs conventionnels a plusieurs objectifs : améliorer le contrôle de la maladie, permettre une épargne en corticoïdes et prévenir les rechutes de la maladie. Les risques potentiels des immunosuppresseurs, en particulier infectieux, en font limiter l’indication aux formes qui le nécessitent réellement. Le dosage sanguin d’hydroxychloroquine permet par exemple d’éviter une surenchère thérapeutique inutile et potentiellement risquée en cas de non-observance du traitement de première ligne. Les principaux immunosuppresseurs utilisés au cours du lupus sont :
– le méthotrexate (MTX),
– le mycophénolate mofétil (MMF),
– l’azathioprine (AZA)
– et le cyclophosphamide (CYC).
En cas d’échec des traitements immunosuppresseurs, on peut recourir à des biothérapies telles que :
– le rituximab (hors AMM),
– le bélimumab
– et prochainement l’anifrolumab.
L’efficacité du méthotrexate sur les manifestations spécifiques du LES concerne surtout les manifestations articulaires et cutanées. Pour mémoire, ce traitement est contre-indiqué en cas de grossesse. Les données relatives à l’utilisation de l’azathioprine (AZA) proviennent surtout d’essais dans la néphropathie lupique, dont elle constitue l’un des traitements d’entretien (15). L’AZA ne présente pas de risque tératogène et est donc l’immunosuppresseur de choix en cas de désir de grossesse, mais expose à un risque de lymphome viro-induit en cas d’utilisation prolongée. Le cyclophosphamide (CYC) est principalement indiqué en cas de néphropathie lupique proliférative ou d’atteinte sévère du système nerveux central (SNC). En 2002, Houssiau a montré que l’utilisation d’une dose fixe de 500 mg de CYC IV tous les 15 jours pendant 3 mois (protocole Euro-Lupus) n’était pas inférieure au schéma historique du NIH dans la plupart des cas, tout en réduisant considérablement la toxicité du CYC. Le CYC est tératogène et ne peut donc être utilisé pendant la grossesse. Le mycophénolate mofétil (MMF) est principalement utilisé (hors AMM) en tant que traitement d’induction et d’entretien des néphropathies lupiques prolifératives et comme traitement d’entretien d’autres atteintes le nécessitant, par exemple en relais du cyclophosphamide au cours d’une atteinte du système nerveux central. La tératogénicité du MMF conduit à contre-indiquer ce traitement durant la grossesse.
L’actualité 2023 est plus spécifiquement marquée par des avancées thérapeutiques récentes concernant la prise en charge de la néphropathie lupique, en particulier avec le bélimumab (cf. infra), qui dispose désormais d’une extension d’AMM dans cette indication, ainsi qu’avec la voclosporine. Dans l’essai randomisé de phase 3 AURORA (16) ayant inclus 358 patients avec néphropathie lupique (classes III, IV et V), la voclosporine utilisée par voie orale à la posologie de 23,7 mg deux fois par jour (en association avec le MMF et une corticothérapie) a permis d’obtenir un taux de réponse rénale significativement supérieure à celui observé dans le bras placebo (40,8 % contre 22,5 %, p < 0,001) avec une tolérance proche dans les deux bras.
Les biothérapies
Après des années d’échecs, une meilleure compréhension de la physiopathologie du lupus et surtout une amélioration du design des essais cliniques ont permis le développement de biothérapies permettant d’envisager un renouveau de la prise en charge.
Rituximab
L’efficacité du rituximab dans le LS a été évaluée dans deux essais randomisés de phase 3 (EXPLORER et LUNAR) qui se sont révélés négatifs. Cependant, l’analyse des registres suggère un intérêt du rituximab, notamment en cas d’atteinte articulaire corticodépendante, d’atteinte rénale réfractaire, de cytopénies auto-immunes sévères et réfractaires ainsi que dans les atteintes du système nerveux central en cas d’échec ou d’intolérance aux immunosuppresseurs classiques.
Bélimumab
Le bélimumab a obtenu une AMM européenne pour le LES en 2011, en association au traitement habituel, chez les patients atteints de lupus systémique actif avec présence d’auto-anticorps et activité de la maladie élevée (définie par exemple par la présence d’anticorps anti-ADN natif et un complément bas) malgré un traitement standard. Récemment, le bélimumab a montré son efficacité dans la néphropathie lupique en ajout à un traitement standard (17) et bénéficie désormais d’une AMM dans cette indication. L’essai de phase 3 BLISS-LN (17) a randomisé 448 patients pour recevoir du bélimumab (10 mg/kg par voie intraveineuse) ou son placebo, en plus du traitement de référence associant corticothérapie et MMF. Le critère de jugement principal (efficacité rénale, selon une définition propre à l’étude) était atteint plus fréquemment dans le bras bélimumab que dans le bras placebo (43 % contre 32 %, p = 0,03). Même si la magnitude de cette différence reste peu importante (∆ = 11 %), il s’agit d’une avancée potentiellement intéressante, car pour l’instant le bélimumab n’était pas indiqué chez les patients lupiques avec atteinte rénale.
Anifrolumab
L’anifrolumab (anticorps monoclonal anti-récepteur des interférons de type I IFNAR1) a démontré son efficacité (18) dans un essai de phase 3 (TULIP 2) tandis que le critère principal de jugement n’était pas atteint dans l’autre essai pivotal de phase 3 (TULIP1). L’anifrolumab a cependant été autorisé par la FDA en août 2021 et a reçu une AMM européenne en 2022.
Obinutuzumab
Enfin, l’obinutuzumab (anti-CD20) a été évalué dans un essai de phase 2 au cours du lupus rénal avec un certain succès.
Conclusion
D’importants progrès ont été réalisés dans la prise en charge thérapeutique du LES au cours des dernières décennies (19). La découverte des glucocorticoïdes reste sans aucun doute l’avancée la plus significative dans le domaine des maladies auto-immunes. Les antipaludéens de synthèse, et les immunosuppresseurs conventionnels ont profondément modifié notre vision de la maladie. La transition avec le XXIe siècle a progressivement ouvert une nouvelle ère pour le traitement du LES : bélimumab en 2011, anifrolumab et voclosporine plus récemment. Compte tenu du nombre important de thérapies ciblées en développement clinique (20), des changements majeurs sont attendus dans la prise en charge thérapeutique du LES au cours des années à venir (21).
Remerciements : L’auteur souhaite remercier le Dr François Chasset (service de dermatologie, hôpital Tenon).
L’auteur déclare une activité de consulting pour : Alexion, Alpine, Amgen, Astra-Zeneca, Abbvie, Biogen, BMS, Boehringer-Ingelheim, GSK, Janssen-Cilag, Kezar, Lilly, Medac, Novartis, Pfizer, Roche-Chugaï, UCB.
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